Dans chacune de ces villes européennes, toujours le même manège : une bande de « jeunes » éméchés encerclent des femmes, leur touchent les seins ou les parties génitales, essaient de les voler, etc. Ce nouveau mode de prédation sexuelle étonne et choque. Lundi dernier, la police suédoise révélait que des agressions similaires avaient également sévi durant le festival We are Sthlm en 2014 et 2015. Pourquoi a-t-on caché ces informations aussi longtemps?

Apparemment, la plupart de ces jeunes hommes étaient d’origine arabe « ou nord-africaine », comme on dit en toute politically correctitude, pour ne pas juste dire « des Islamissss [radicaux] ». Dans plusieurs cas, il s’agissait de demandeurs d’asile.

Coup de théâtre! Les mononcles xénophobes-qui-ne-veulent-pas-de-Syriens-chez-eux et autres néo-nazis ternes du vieux monde en ont profité pour ressortir la boîte de cotillons : hourra, on peut enfin haïr en toute quiétude! Et bonne année à tous!

Les mononcles xénophobes-qui-ne-veulent-pas-de-Syriens-chez-eux et autres néo-nazis ternes du vieux monde en ont profité pour ressortir la boîte de cotillons : hourra, on peut enfin haïr en toute quiétude!

Sur les réseaux sociaux, l’extrême-droite s’en donne à cœur joie : des photos et des vidéos trompeurs, qui témoignent d’évènements passés n’ayant rien à voir avec les récentes agressions, sont coulés autant sur Twitter que sur Facebook, accompagnés de mots-clics tout en finesse comme #Muslim Gang #Rape, #DeportThemAll et #VoteTrump2016.

Conséquemment, dans une résolution du 9 janvier dernier, la chancelière Allemande Angela Merkel a décidé d’exclure du droit d’asile toute personne condamnée à une simple peine de prison avec sursis, alors que l’Allemagne a accueilli plus d’un million de réfugiés en 2015 (auparavant, seules les personnes condamnées à au moins trois ans ferme se voyaient refuser l’asile). Le nanane n’a pas été suffisant pour calmer l’extrême-droite, alors que 13 étrangers étaient violentés au cours d’une « promenade » organisée par Pegida le lendemain.

Ici comme ailleurs, on a accusé les féministes-de-la-gauche-bien-pensante (i.e. Aurélie Lanctôt, qui est rangée dans une boîte et qu’on déplie une à deux fois par semaine, quand vient le temps de s’indigner contre le patriarcat) de ne pas réagir. Dans un débordement injustifié et quasi-hystérique de sentiments maternels à l’égard des migrants, l’image culpabilisatrice du petit Aylan Kurdi gravée au fond de la rétine, elles se seraient tues pour protéger le réfugié universel qu’elles portent au fond de leurs trippes. Elles n’ont pas voulu reconnaître, selon les fins mots de Mathieu Bock-Côté, qui contamine jusqu’à la presse outre-Atlantique, qu’« on ne fait pas entrer dans un pays des centaines de milliers de personnes aux mœurs étrangères sans provoquer un choc culturel ou si on préfère, un choc de civilisation ».

Et pourtant, des réactions féministes, il y en a eu plus d’une, mais probablement dans des termes trop subtils pour une presse avide de polarisation et pour qui le terme « intersectionnalité » ne fait pas des titres très sexy. Il y a eu un temps de latence, certes. Le scandale a éclaté le 5 janvier et les textes, billets de blog et communiqués n’ont pas été publiés avant le 11-12 janvier, dans le monde francophone du moins. Une semaine de silence, pour un temps médiatique en constante accélération, au détriment de la qualité, c’est un peu comme attendre un congrès pour condamner la violence.

Et malheureusement, comme tout le monde n’a pas cru bon prendre ce temps d’arrêt pour peser ses mots, la réaction féministe a finalement plutôt pris la forme d’une méta-réaction, c’est-à-dire une réaction aux réactions racistes.

Or, il serait bien malvenu, pour un groupe oppressé depuis des milliers d’années (certaines disent une classe), de se précipiter sur un autre pour l’oppresser à son tour. Un enjeu d’une telle complexité, avec plusieurs axes de tension, demandait un temps de réflexion, aussi sidérant que cela puisse paraître à l’homme blanc, hétérosexuel, bardé de diplômes en sociologie, qui ne fait que postillonner une variété légèrement différente de termes abscons chaque fois qu’il rejoue sa cassette identitaire. Et malheureusement, comme tout le monde n’a pas cru bon prendre ce temps d’arrêt pour peser ses mots, la réaction féministe a finalement plutôt pris la forme d’une méta-réaction, c’est-à-dire une réaction aux réactions racistes.

En Allemagne, un collectif féministe allemand a lancé, sous le mot-clic #aufschrei, un cri d’appel pour dénoncer la récupération politique des agressions de Cologne à des fins d’exclusion: « On ne peut pas parler de la violence sexuelle uniquement quand les auteurs sont prétendument “les autres” : les hommes musulmans, les Arabes, les Noirs ou les Nord-Africains. » Cela n’est pas sans rappeler un vidéo belge sur le harcèlement de rue qui avait circulé sur les réseaux sociaux et dans lequel les harceleurs étaient essentiellement des hommes racisés.

En France, le Collectif national pour les droits des femmes s’est indigné des prétentions de Marine Le Pen sur Twitter, selon qui « la dignité et la liberté de la Femme [est] un acquis précieux que nous avons le devoir de protéger », alors que le Front National a pris plusieurs positions à contre-courant du droit des femmes dans les dernières années : « Nous n’avons jamais vu l’extrême droite se préoccuper des violences faites aux femmes, sauf quand ces violences sont le fait de migrants ou d’immigrés ».

Comme l’a fait remarquer la blogueuse Crête Georgette : « Tout d’un coup, un certain nombre de gens feignait de découvrir qu’il y avait des agressions sexuelles et des viols en Europe. […] La vérité est que les femmes ne sont pas en sécurité où que ce soit dans le monde et l’on n’a pas attendu l’arrivée de demandeurs d’asile pour que cela soit le cas. Le fait est que les foules masculines matinales des transports en commun français sont déjà un danger pour les femmes donc les foules avinées en sont également un. »

La vérité est que les femmes ne sont pas en sécurité où que ce soit dans le monde et l’on n’a pas attendu l’arrivée de demandeurs d’asile pour que cela soit le cas.

Oser le féminisme a continué sur la même lancée : « Instrumentaliser ces crimes, laisser à penser que la violence machiste est un fait étranger à nos sociétés, qu’il suffirait de fermer nos frontières pour nous en prémunir, c’est occulter la réalité du quotidien des femmes. » En effet, en Allemagne, selon une nouvelle étude commandée par le Ministère fédéral des affaires familiales, une femme sur sept subit de la violence sexuelle et une femme sur quatre, de la violence domestique. Les auteurs sont presque toujours des hommes, parmi lesquels il n’existe aucune distinction significative selon la religion, l’origine, le niveau d’éducation ou le statut social. Il y a par exemple, chaque année, des plaintes pour agression sexuelle durant l’Oktoberfest et on n’assiste jamais à un tel tollé médiatique. Dans le débat confus des deux dernières semaines, on occulte donc sciemment l’exceptionnalité des événements de Cologne en regard des statistiques globales d’agressions sexuelles en Allemagne », comme l’a fait remarquer le Regroupement québécois des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel.

Il y a par exemple, chaque année, des plaintes pour agression sexuelle durant l’Oktoberfest et on n’assiste jamais à un tel tollé médiatique. Dans le débat confus des deux dernières semaines, on occulte donc sciemment l’exceptionnalité des événements de Cologne en regard des statistiques globales d’agressions sexuelles en Allemagne

En retenant la race plutôt que le sexe des agresseurs, on refuse de reconnaître l’agression sexuelle comme l’une des nombreuses manifestations d’une domination structurelle de l’homme sur la femme. On tente plutôt d’attirer l’attention vers des « différences culturelles », plaçant nos sociétés d’accueil en altérité avec celles d’où affluent les migrants. On pointe du doigt « l’Autre patriarcal ». Pour preuve, les articles sur les agressions de Cologne ne cessent d’encenser la Norvège, qui offre des cours sur les mœurs destinés aux réfugiés afin de favoriser l’insertion « d’hommes en provenance de sociétés patriarcales (sic) dans une Europe où les femmes sortent, boivent et festoient. »

Lorsque l’on reproche aux féministes de ne pas réagir, on leur reproche en fait de ne pas avoir choisi le bon sujet pour réagir!

Comme l’a fait ressortir Alexa Conradi dans une table ronde à Radio-Canada, cela a pour conséquence de déplacer le débat au sujet de la culture du viol, qui lui est bel et bien féministe, vers un autre débat, cette fois au sujet du multiculturalisme et de l’ouverture à l’immigration. Lorsque l’on reproche aux féministes de ne pas réagir, on leur reproche en fait de ne pas avoir choisi le bon sujet pour réagir!

Mathieu Bock-Côté est très clair là-dessus : on ne peut pas effacer les évènements de Cologne « dans la grande catégorie du machisme universel ». Et si l’on utilise des termes tels que « racisme » et « xénophobie », c’est pour faire taire les critiques au sujet de ce qu’il appelle l’ « idéal diversitaire ». Le chroniqueur voudrait non seulement que les féministes parlent, mais il voudrait également leur dire quoi dire. « Au fond, le problème, ce n’est pas réellement que les féministes se taisent au sujet des assauts de Cologne, mais qu’elles ne les dénoncent pas de manière assez xénophobe au goût de certains », comme le résume bien la blogueuse Judith Lussier sur Facebook. Avec un tel discours, Mathieu Bock-Côté réussit un tour de force, faisant d’une pierre deux coups en discréditant à la fois le mouvement antiraciste et le mouvement féministe.


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