Un espace de partage d’outils, un jardin communautaire, une monnaie locale ; les exemples ne manquent pas pour illustrer à quel point les citoyens et citoyennes, devant l’adversité de la conjoncture économique, du système de capitalisme sauvage dans lequel nous vivons, et du ras-le-bol des politiques immobilistes, ont envie de prendre les choses en main.

« Ce sont des mouvements qui reposent sur des formes de gouvernance alternatives, démocratiques et collaboratives. Ce n’est pas une forme nouvelle d’économie, mais avec la crise du capitalisme financier que l’on vit, on ne sait pas comment ça va se transformer et quelle place ces projets pourraient prendre », explique Olivier Germain, professeur à l’école des sciences de la gestion de l’UQAM.

Le professeur constate que des générations plus jeunes sont à la base de plus en plus de projets citoyens qui allient l’individuel et le collectif, l’entreprenariat et les principes sociaux, deux contradictions longtemps vécues par plusieurs groupes. Il cite en exemple Les fermes Lufa, qui cultivent légumes et fruits sur les toits de Montréal, qui réunit à la fois les aspects sociaux, économiques et environnementaux. Ou encore, la réimplantation de ruches à Montréal, que plusieurs organismes chapeautent, comme Miel Montréal ou encore Rucher urbain, situé à l’Uqam.

À Sherbrooke, La Fabrique, un lieu d’ateliers manuels collaboratifs, est née d’une volonté de se réapproprier l’aspect créatif et de partage collectif des savoirs. « Depuis l’ouverture de nos services à l’automne, on sent déjà qu’une communauté diversifiée se crée autour de notre projet », explique le président de l’organisme Julien Lamarche. La Fabrique, qui se présente comme une coopérative d’ateliers collectifs, permet aux citoyens et citoyennes en tout genre de réaliser n’importe quel projet manuel. Comptant 265 membres, ces derniers ont accès à des ateliers d’électronique, de mécanique, d’ébénisterie et d’art. L’organisme offre également des formations pratiques, de la fabrication de drones à des ateliers de poterie, et est également un espace de location pour les artistes et les petits entrepreneurs. « On permet à la communauté de Sherbrooke de créer, d’apprendre et de faire elle-même plutôt que d’acheter sans cesse des objets », affirme M. Lamarche.

« On permet à la communauté de Sherbrooke de créer, d’apprendre et de faire elle-même plutôt que d’acheter sans cesse des objets »

Le Santropol roulant est également un bon exemple d’un projet géré par la base et qui allie entreprise, bénévolat, partage et pratique par ses différents services autour de son centre alimentaire.

Des mouvements globaux

Dans le documentaire Demain (France), de Cyril Dion et Mélanie Laurent, les deux réalisateurs font le tour du monde, littéralement, à la recherche de projets citoyens qui ont fait changer les choses, soit au niveau social, environnemental ou social, parfois les trois ensemble.

C’est notamment le cas de la ville de Detroit. Délaissée par les trois quart de ses habitant-e-s suite à la fermeture des usines de l’industrie automobile, un groupe citoyen a décidé de mettre en place des jardins communautaires afin de faire rester les gens dans la ville, en leur offrant des produits locaux. Aujourd’hui, cette initiative emploie des centaines de personnes et permet aux habitant-e-s de Detroit de consommer des produits à proximité de chez eux.

Dans la même veine, les Incroyable Comestibles, mouvement mondial né en Grande-Bretagne, visent à se réapproprier les espaces urbains en y plantant légumes et fines herbes, accessibles à tous et à toutes. Les Incroyables Comestibles ont connu une expansion mondiale, toujours prise en charge par les citoyens et citoyennes. Le Québec a récemment mit sur pied sa propre branche .

Une monnaie citoyenne?

Dans Demain, on y parle aussi de monnaie locale. Comme au Royaume-Uni, où on y fait l’usage courant du Bristol Pound. Ou encore du Wir, une monnaie complétementaire suisse, qui bénéficie même de sa propre banque. Cette dernière, créée en coopérative en 1934, est utilisée par plus de 30 000 entreprises en Suisse, et a permis la création de centaines de petites et moyennes entreprises, sans que ces dernières aient recours à des prêts des grandes banques. Le Wir est convertible en monnaie courante, permettant aux entreprises locales suisses de faire du commerce international. Même ici, de telles tentatives existent, à plus petite échelle, comme en Gaspésie, où existe le « demi ».

Ça fait maintenant 50 ans qu’on met en place, ici et ailleurs, des petits projets pour tenter de stimuler un autre développement, et même parfois pour tenter de changer carrément l’économie.

Les projets citoyens peuvent-ils réellement transformer l’économie? « Pris isolément, non. », affirme Simon Tremblay-Pepin, chercheur à l’institut de recherche socio-économique (IRIS). « Ça fait maintenant 50 ans qu’on met en place, ici et ailleurs, des petits projets pour tenter de stimuler un autre développement, et même parfois pour tenter de changer carrément l’économie. Ce genre de transformation n’arrivera pas par l’action spontanée de plusieurs petits groupes qui ne se consultent pas. Une transformation sociale, ça se planifie, ça se prépare, ça s’organise volontairement, » ajoute-t-il.

Le chercheur croit toutefois qu’il n’est pas vain de mettre sur pieds de tels projet. Ils permettent, entre autre, de créer des espaces temporaires de liberté où des gens peuvent obtenir de quoi survivre sans être dans une situation trop oppressante. « Ça permet même, peut-être, que des gens puissent avoir l’opportunité de penser à l’étape suivante, celle du changement de logique, du passage à un niveau supérieur à plus grande échelle », ajoute-t-il.

Partout dans le monde, dont au Québec, des gens y travaillent activement. La clé, c’est peut-être de tenter de créer un large réseau qui permettraient à toutes ces initiatives, peu importe leur domaine, de se rejoindre et d’entamer ensemble un mouvement global vers une transformation réelle de nos sociétés.

Liens utiles :

Réseau des monnaies complémentaires

Projets citoyens Québec