Aux lendemains de la signature de l’accord mondial sur les changements climatiques à Paris (COP21) — la « 21e Conférence des parties », la 11e depuis la signature du protocole de Kyoto, les avis sont mitigés sur les conclusions de ces deux semaines de négociations.
Il n’y a pas si longtemps, quatre petites années, l’ex-premier ministre du Canada, Stephen Harper, s’était retiré du protocole de Kyoto. Le gouvernement Trudeau se demande maintenant s’il ne devrait pas viser une cible plus contraignante, malgré l’accord, qui lui, ne l’est pas. Le Canada a changé de visage et les espoirs sont grands.
Plusieurs environnementalistes souhaitent donner la chance à Justin Trudeau. « La moitié des membres du cabinet ont moins de 50 ans. Il s’agit d’une génération qui a grandi avec les notions environnementales, note Karel Mayrand, directeur général de la Fondation David Suzuki Québec. Il y a d’anciens militants environnementaux et plusieurs scientifiques parmi eux. Je suis assez optimiste. » Plus encore, « les climatosceptiques avaient une oreille, mais c’est maintenant fini », souligne Claude Villeneuve, professeur à l’Université du Québec à Chicoutimi et titulaire de la Chaire en écoconseil.
Malgré ces espoirs, les défis pullulent sur le terrain. « Nous sommes dans les 15 ou 20 dernières années où l’on peut agir pour ne pas dépasser deux degrés Celsius, avertit Claude Villeneuve. Il faut plus que trois ou quatre éoliennes pour y arriver, il faut des mesures draconiennes. Dans l’état actuel, deux degrés est un vœu pieu. »
Une confédération compliquée
Selon Karel Mayrand, le système politique canadien est lui-même une embûche aux ambitions de Justin Trudeau. « Établir un plan d’action avec les provinces, c’est compliqué, dit-il. Les efforts de chacune ne sont pas égaux. Comment uniformiser ces efforts? » En plus, la mise en place d’infrastructures elles-mêmes est un défi, selon le représentant québécois de la Fondation David Suzuki. « Les infrastructures, ce sont des investissements sur le long terme. Comment concilier le court terme, où les énergies fossiles sont encore présentes, et le long terme, où elles auront disparu? Ce sera son premier défi politique : transformer ces investissements en diminution des gaz à effet de serre. »
Le gouvernement canadien « doit créer un marché interprovincial de l’énergie verte », juge Claude Villeneuve. Malheureusement, selon lui, les provinces tirent toujours la couverture de leur côté. « Trudeau a l’immense défi d’aller au-delà des sensibilités politiques régionales pour mettre en place un vrai plan », insiste-t-il.
Karel Mayrand croit toutefois que la volonté de Justin Trudeau pourrait inciter les provinces à collaborer, même les plus rébarbatives. « Les provinces ne voudront pas laisser le fédéral gérer tous les dossiers énergétiques, comme la bourse du carbone, explique-t-il. Elles vont donc agir. Il sera toutefois important de ne pas les laisser trop libres. »
Injustice climatique
Depuis une vingtaine d’années, plusieurs pays en développement évoquent la notion de la justice climatique. Ils ne veulent pas que les contraintes des pactes internationaux freinent leur développement industriel alors que d’autres pays l’ont fait sans se soucier de la pollution qui l’accompagnait.
« L’immense problème avec la responsabilité commune, considère Claude Villeneuve, c’est que certains pensent que ça donne un droit au développement polluant. Le monde a le droit de se développer, mais pas de polluer. C’est comme dans la cour d’école; les grandes personnes fumaient, les petits veulent faire pareil. Mais ce n’est pas une décision intelligente. Il y a d’autres manières d’intégrer le groupe. »
Le Canada est un immense territoire, le deuxième état le plus étendu de la planète. Des Grands Lacs au Grand Nord, du Cap-Breton à l’île de Vancouver, le développement et les réalités diffèrent. L’injustice climatique existe-t-elle à l’intérieur même du Canada? Selon le porte-parole de l’Association québécoise de la lutte contre la pollution atmosphérique, André Bélisle, « la question se pose. Les Inuits, les autochtones, c’est leur sol qu’on exploite, ajoute-t-il. La fonte des glaces, c’est eux que ça touche en premier. »
« On est tous responsables de la fonte des glaces ou de l’érosion dans les maritimes », avance Claude Villeneuve. Le professeur croit que si la notion de justice climatique canadienne naissait, l’Ontario et le Québec seraient les plus gros payeurs, « qui se sont industrialisé les premières, bien avant l’Alberta ».
Karel Mayrand évoque une autre forme d’injustice canadienne, celle qui est économique. « Le développement industriel a profité à tout le pays, précise-t-il, mais le pétrole, on le prend qu’une fois. Il n’existe plus après, c’est fini. On n’a pas de fonds qui compensent cette exploitation. Les travailleurs qui subiront la fin seront laissés à eux-mêmes. Quel legs restera-t-il à la génération suivante? L’injustice est flagrante. »
Nul besoin d’aller dans les régions ressources ou éloignées pour parler de responsabilité nationale, selon André Bélisle. « Les communautés qui subissent des déversements de pétrole, comme Mégantic, vivent elles aussi une injustice. Il faut être une société responsable. »
Responsabilité, cohérence, individualisme. Finalement, le défi de Justin Trudeau semble à fois politique… et humain. Et plus largement, dans quelle mesure le Canada respectera l’entente de la COP21?