Les parisiens et parisiennes avaient la mine bien basse lundi matin dans les transports en commun. Un silence lourd y régnait, à moitié entre le découragement de commencer sa semaine de travail, l’ambiance un peu morose qui se sent partout depuis le 13 novembre, et surtout, à cause des unes de tous les journaux et bulletins télé et radio : l’avance du Front National au premier tour des élections régionales. En tête dans six régions du pays, du nord au sud (ces deux extrêmes étant particulièrement « bleu Marine »), le parti de Le Pen fille a véritablement soufflé son discours nationaliste aux quatre coins de l’Hexagone.
Dans les analyses politiques, on ne parle même pas de « la faute de la gauche », mais plutôt des attentats, de la peur, de la déception de Hollande lui-même. D’autant plusieurs prédisaient un certain succès au FN, un telle avance est surprenante, et reste le sujet de toutes les conversations. Avec 30 % d’une participation citoyenne de 50 % (bas, mais plus haut qu’en 2010), le FN n’a même pas eu à faire une grande campagne pour convaincre les électeurs et électrices. Il faut dire que campagne, il n’y en a guère eue, les événements du Bataclan balayant tout intérêt politique… sinon l’interventionnisme guerrier de l’État. Mais ni cela, ni les bons mots de Hollande n’auront aidé celui-ci à regagner la confiance perdue de son électorat. Le FN n’aura même pas eu à récupérer les attentats pour se faire du capital politique. Le climat de peur et la colère envers les socialistes aura fait le travail par lui-même. Le parti d’extrême-droite aura même réussi à atteindre le surprenant score de 40 % dans le Nord-Pas-de-Calais-Picardie, son adversaire socialiste Pierre de Saintignon se désistant même de la course (18%) dans une région pourtant historiquement de gauche, qui a connu pendant de longues années la socialiste Martine Aubry.
Qu’est-ce qui explique cette remontée du discours de la haine, de la violence et de l’identité nationaliste et « pure»? Il faut remonter au-delà du 13 novembre, mais en fait, il s’agit peut-être comme dans bien des cas électoraux : un ras-le-bol et une envie de changement, même si ce dernier est inquiétant. Hervé Kempf résume bien la situation dans son dernier éditorial : « La porte s’est ouverte à une situation comparable au fascisme. Ne croyez pas que j’exagère. Nous manquons de mots pour désigner la réalité politique qui s’affirme dans le capitalisme oligarchique du XXIe siècle. Le régime de Poutine, en Russie, n’est pas fasciste. Celui d’Erdogan, en Turquie, ne l’est pas. Celui de Ben Ali et des militaires, en Algérie, ne l’est pas. Celui de MM. Hollande et Valls et de l’état d’urgence, qui ouvre la voie à Mme Le Pen, ne l’est pas. Mais dans l’évolution délétère du capitalisme de ce début de siècle, la conjugaison de l’inégalité, du contrôle des médias, de l’autoritarisme, se traduit par cette situation qui éteint peu à peu l’espoir et laisse s’épanouir les armes, la répression, la violence, la haine. »
Même les Verts, qui auraient pu profiter de l’occasion pour tenter une percée, aussi minime soit-elle, dans la foulée de Cop21 et des discussions sur le climat et l’énergie, se sont retrouvés plus qu’à la trappe, arrivant bien bas en quatrième position avec 6.6 % des suffrages. Ainsi donc, le FN a le vent dans les voiles, et tout à prévoir qu’il remportera encore la mise lors du deuxième tour de dimanche prochain, qui, ironiquement, marquera jour pour jour le premier mois des attentats du Bataclan.
Pendant ce temps, au Bourget
Loin des élections régionales, vers le chemin de l’aéroport Charles-de-Gaulle, dans la commune du Bourget, les chefs d’État de partout dans le monde discutent climat et tentent de trouver un accord, qu’ils signeront théoriquement (et symboliquement probablement dans certains cas) à l’issue de la semaine. Déjà, le fait que le travail se fasse à partir des recommandations d’experts et d’intellectuels plutôt que sur le premier document proposé, qui consistait principalement en des ratures de tous et chacun pour souligner les désaccords, est encourageant. Alors que certains attendent du financement afin de contrer les effets très concrets des changements climatiques (c’est le cas de nombreux pays africains), d’autres veulent poursuivre l’exploitation de leurs ressources naturelles en changeant le moins possible leurs méthodes, et d’autres encore tentent de redorer leur blason environnemental. C’est le cas du Canada, alors que Justin Trudeau est venu faire son tour au Bourget, accompagné de tous les premiers ministres provinciaux, pour montrer sa bonne foi… Tous, sauf Philippe Couillard, qui reste vague sur plusieurs enjeux.
Si un grand espace est laissé aux médias pour faire le tour des délégations internationales et assister à la plupart des conférences, certaines discussions de fond, probablement les plus intéressantes, se font à huis-clos. Ce qui est fortement dénoncé par les médias, et encore plus par la société civile, très largement présente dans les espaces ouverts. « Comment sommes-nous censés participer aux solutions et agir si nous ne faisons pas partie des discussions et qu’on ne nous communique rien? » demande une jeune américaine venue à titre d’observatrice avec une délégation jeunesse.
Les points qui bloquent du côté des politiciens se résument notamment, mais non sans importance, à l’objectif de l’accord : 2°c ou 1,5°c (limite du réchauffement climatique d’ici 2100) ; l’argent ; à qui la responsabilité, qui doit payer quoi, pour en faire quoi? ; et la « clause de revoyure », qui obligerait les pays à communiquer leurs nouveaux objectifs chaque cinq ans. Ce dernier point, même Laurent Fabius, Ministre des Affaires étrangères et du Développement international à la tête de COP21, n’est pas sûr qu’il soit réaliste
Bref, beaucoup de choses à surveiller dans les prochains jours dans l’Hexagone, en cette semaine qui culminera par un bien triste anniversaire et possiblement par l’élection de gouvernements régionaux d’extrême-droite… À voir les « tronches » dans le métro de Paris lundi matin, en effet, la semaine s’annonce longue…