«Ce qui est en train de se passer, c’est une évolution dans les rapports entre les humains», croit Daniel Gennaro. À Paris, l’informaticien de 54 ans partage depuis quelques mois son quotidien avec Moustapha, réfugié soudanais qui a à peu près l’âge de ses enfants dans la vingtaine.

Le départ de son fils pour étudier à Chicoutimi, laissant une chambre libre, a coïncidé avec ce qu’on appelle désormais «la crise des migrants» à Paris. Motivé par l’élan citoyen de solidarité, Daniel a décidé d’agir en accueillant chez lui un réfugié. Il a été parmi les premiers à offrir un hébergement, l’été dernier.

C’est par le biais de Singa France que le jumelage a été fait. Depuis près de trois ans, l’équipe de l’association créée en 2012 menait une recherche internationale sur le niveau d’utilisation des technologies par les réfugié-e-s. La réponse a été claire: si des applications étaient créées, les personnes réfugiées s’en serviraient. Ainsi est née en 2015 l’application CALM, «Comme à la maison», qui vise à mettre en relation des réfugié-e-s mal logés et des particuliers prêts à les accueillir pour quelques jours, semaines ou mois.

«De quelques dizaines d’offres d’hébergement durant tout l’été, on est passé à 6000 offres en deux jours début septembre. Aujourd’hui, notre banque de données comprend près de 10 000 offres»

«De quelques dizaines d’offres d’hébergement durant tout l’été, on est passé à 6000 offres en deux jours début septembre. Aujourd’hui, notre banque de données comprend près de 10 000 offres», explique Juliette Arzur, responsable du réseau CALM.

À ce jour, 70 personnes ou familles ont été mises en relation d’hébergement. Chaque jour, une dizaine de bénévoles examinent les offres d’hébergement et cherchent ensuite les profils des réfugié-e-s compatibles selon les affinités, la possibilité de partage des connaissances et la localisation en France. «Quand on trouve un match possible, on fait venir les gens dans nos bureaux pour se rencontrer. Parfois, les gens repartent même directement ensemble après la rencontre. On a ainsi jumelé un agriculteur soudanais avec un agriculteur en région, et deux musiciens, qui ont même fait un concert ensemble», relate Juliette Arzur.

Bianca Joubert

Prête-moi ton réseau

La formation est la pierre angulaire de Singa, «prêter» en bambara. Prêter son temps, son réseau, sa maison… Le mouvement citoyen vise à créer une plateforme d’échanges entre les réfugié-e-s et leur société d’accueil. Chaque semaine, deux formations: l’une pour les hôtes voulant héberger et l’autre vouée aux autres activités de Singa, soit l’accompagnement en entrepreneuriat, l’inclusion socioprofessionnelle, les projets artistiques, culturels et sportifs, les cours de français, de yoga et de relaxation. Le champ est vaste et les personnes présentes – environ une centaine chaque fois – peuvent choisir de s’investir selon leurs aptitudes et les besoins des personnes réfugiées, et ainsi agrandir le réseau.

Alice Barbe, codirectrice de Singa France, était à Montréal en septembre dernier pour lancer Singa Québec, une formule semblable à celle de la France, hormis l’application CALM, pour l’instant. «Nous voulons prendre le temps d’adapter le programme aux enjeux québécois et de l’ancrer dans le contexte d’ici», explique Jasmine Van Deventer, co-coordonnatrice de Singa Québec. «Singa Québec est plus pertinent que jamais dans le contexte où nous allons accueillir de nombreux réfugié-e-s syriens.»

«Singa Québec est plus pertinent que jamais dans le contexte où nous allons accueillir de nombreux réfugié-e-s syriens.»

Déjà, plusieurs citoyens et citoyennes se sont montrés intéressés par Singa Québec, qui mettra notamment l’accent sur la santé et l’accès aux soins. Jasmine Van Deventer espère que les événements de Paris et la pétition contre l’accueil des réfugiés ne ralentiront pas trop le processus.

Créer des liens, se reconstruire

Grâce à l’initiative française, de véritables liens se sont déjà tissés. Entre Daniel et Moustapha, par exemple. Des doutes, des incompréhensions, des malaises, il y en a eu, Daniel Gennaro – rencontré dans les locaux de Singa France, où il est aussi bénévole – ne s’en cache pas: «Va-t-il m’égorger en rentrant à la maison? Je lui donne les clés?» relate-t-il en riant. «Les gens ont peur d’accueillir, mais c’est tellement simple, finalement. Je dirais même que Moustapha est plus respectueux des règles de la maison que mes propres enfants!» L’accueil à la maison, croit-il, apporte un toit, des repas, mais surtout une certaine chaleur humaine qui permet à la personne de se reconstruire.

Dans les locaux de Singa, il y a aussi Déo Namujimbo, grand reporter de la République démocratique du Congo, 25 ans de métier, des prix internationaux, mais réfugié politique à Paris depuis un peu plus de 6 ans. Sommité dans son pays, Deo n’arrivait pas en France à travailler comme journaliste à cause du manque de maîtrise des outils électroniques. Intégré dans le réseau Singa, il était ce jour-là fier de signer son contrat de rédacteur en chef du nouveau magazine de l’association, Singa Mag.

Bianca Joubert

Même si pour l’État français, l’aide citoyenne n’est pas le modèle privilégié, mais une solution ponctuelle, Singa est actuellement très sollicité par les institutions. La Mairie de Paris a même cru bon d’intégrer l’association citoyenne dans son Plan d’action pour la mobilisation de la Commune de Paris dans l’accueil des réfugiés et réfugiées.

Il n’y a pas de profil type du réfugié, mais une diversité qui peut profiter au pays d’accueil.»

«On oublie que les réfugié-e-s fuient la persécution et trouvent encore des obstacles comme la langue, la non-reconnaissance des diplômes, l’absence de réseau social et professionnel, rappelle Alice Barbe. Il n’y a pas de profil type du réfugié, mais une diversité qui peut profiter au pays d’accueil.» Un rappel non négligeable en ces temps troubles où les mouvements migratoires ne semblent pas près de ralentir.