De fait, tout se passe comme si, « l’ennemi à abattre », était uniquement issu de l’extérieur du territoire français, d’où la nécessité d’intensifier les bombardements en Syrie ou de rétablir le contrôle des frontières européennes.

Pourtant, tout comme pour les attentats perpétués contre Charlie Hebdo, la majorité des terroristes identifiés pour le moment sont des Français (quatre à ce jour), dont deux ayant grandi en banlieue parisienne. Deux Français passés par l’école républicaine censée donner à tous et toutes les mêmes chances de réussite.

L’école républicaine, justement. Qu’en est-il depuis les attentats de janvier 2015? Dans la droite ligne de l’implantation de la Charte de la laïcité à la rentrée 2013, l’accent a été mis sur l’enseignement de la laïcité. Ainsi, depuis la rentrée de septembre 2015, l’enseignement moral et civique (EMC) a été ajouté au programme scolaire afin de répondre à la « grande mobilisation de l’école pour la défense des valeurs républicaines » engagée par François Hollande en janvier 2015. À cela s’ajoute la perspective de journées de « commémorations patriotiques », de création d’une « réserve citoyenne », d’une journée de la laïcité ou encore de prévention de la radicalisation afin, in fine, de placer l’école « au cœur de la République ».

Or, si je n’ai rien a priori contre un enseignement moral et civique, celui-ci me semble en revanche problématique lorsque d’une part, il prend la forme d’une prescription et lorsque d’autre part, il laisse très peu de place à l’enseignement de la diversité religieuse et culturelle. L’objectif avoué de former de petits républicains semble laisser de côté l’apprentissage de la différence religieuse, culturelle, historique. Comment espérer que de jeunes français issus de l’immigration adhèrent aux valeurs républicaines, si on n’enseigne pas aussi une partie de leur histoire, de leur identité? Et comment penser qu’une compréhension mutuelle entre les élèves issus de différentes cultures puisse surgir si on ne leur donne pas les outils pour comprendre l’autre. De ce point de vue, un cours tel que celui d’Éthique et Culture Religieuse (ECR) enseigné au Québec me semblerait beaucoup plus approprié pour participer à l’intégration de tous et toutes à la société française.

Comment espérer que de jeunes français issus de l’immigration adhèrent aux valeurs républicaines, si on n’enseigne pas aussi une partie de leur histoire, de leur identité?

Mais outre le problème du contenu de cet enseignement, c’est aussi l’accent mis sur le volet laïcité et citoyenneté qui, à terme, est préoccupant. Préoccupant dans la mesure où cet accent se fait au détriment du volet social, soit celui de la réduction des inégalités. De fait, si la réduction des inégalités est également, depuis 2013, inscrite comme une priorité pour l’école, pourtant, trois rentrées plus tard, elle n’est guère visible. Or, comme le soulignait le 31 août dernier, la sociologue Béatrice Mabilon-Bonfils: « ce discours moralisateur surplombant l’élève, les familles, et qui semble tomber d’en haut alors qu’eux-mêmes expérimentent au quotidien un système éducatif inégalitaire, cela ne peut pas parler aux jeunes. On leur vante la fabrique du « commun » et, dans la pratique, les écarts de réussite se perpétuent à tous les niveaux du système éducatif ».

Dix ans après les émeutes des banlieues, la forme d’intégration proposée par l’école française à ces jeunes est donc avant tout une intégration morale et théorique, selon un processus d’intégration, pour ne pas dire d’assimilation, aux valeurs républicaines. L’intégration sociale et économique, elle, est mise de côté.
Si le pacte de sécurité peut l’emporter sur le pacte de stabilité budgétaire européen comme l’a annoncé François Hollande ce lundi, le pacte d’égalité ne devrait-il pas également l’emporter sur le pacte de stabilité budgétaire? Il est pourtant fortement à craindre que les politiques d’austérité continueront à ce niveau, éloignant de plus en plus la perspective d’une vie meilleure pour ces jeunes de banlieues.

Jusqu’à quel point leurs espoirs d’avenir en France peuvent être si bas pour en venir à prendre cette décision? Jusqu’à quel point peuvent-ils se sentir en dehors des valeurs républicaines tant promues?

Ainsi, plutôt que de rejeter uniquement la faute à l’Islam, ne serait-il pas temps de se demander pourquoi ces jeunes Français décident un jour de quitter la France et d’aller prendre les armes aux côtés de Daech? Jusqu’à quel point leurs espoirs d’avenir en France peuvent être si bas pour en venir à prendre cette décision? Jusqu’à quel point peuvent-ils se sentir en dehors des valeurs républicaines tant promues?

Pour être claire, il ne s’agit aucunement ici d’excuser les actions des terroristes qui restent proprement inexcusables et d’une horreur sans nom. Mais si on souhaite éviter que ces scènes d’abomination se répètent, à côté des mesures proprement internationales, il serait également temps que la France commence à réfléchir à son propre modèle d’intégration, au lieu de se contenter de promouvoir des valeurs théoriques qui en pratique trouvent peu de réalité.