Selon cette posture idéologique, seule la force peut faire plier les terroristes. Il fallait venger le 11 septembre en Afghanistan et soutenir l’invasion de l’Irak tout comme il faut désormais soutenir Israël et poursuivre la guerre en Syrie. Cette analyse met généralement de l’avant la fierté d’appartenir à l’Occident « menacé » par l’islamisme radical. Elle soutient les politiques sécuritaires, la diminution de l’immigration d’origine musulmane, la surveillance des groupes considérés radicaux ainsi que l’application de restrictions aux libertés religieuses. C’est elle qui affirme constamment qu’on doit cesser de « culpabiliser l’Occident » et de « victimiser les islamistes ». C’est évidemment elle, aussi, qui se défend constamment, et non sans une certaine sensiblerie, de ne pas être « raciste » ou « islamophobe ».

Ce discours dominant est loin d’être homogène. Il recoupe une partie du « centre gauche » et s’étend jusqu’à l’extrême droite, prenant tout autant la forme de jappements plus ou moins déficients (Radio X, Martineau et cie) que de discours plus sophistiqués et nuancés.

Face à ces idées, d’autres ont amené des solutions différentes, plus progressistes.
Il ne fallait pas envahir l’Afghanistan… Il ne fallait pas envahir l’Irak ― surtout sur la base de mensonges. Ces guerres n’ont fait qu’alimenter le terrorisme. Il faut dénoncer les politiques néocoloniales des pays occidentaux et leur appui indéfectible à l’apartheid israélien. Il faut chercher à rétablir les liens avec les musulmans, premières victimes des attentats, et cesser de les stigmatiser, car c’est précisément ce que veulent les terroristes. Ce discours parle généralement des causes historiques du terrorisme, des erreurs du passé à ne pas reproduire. Il refuse les politiques sécuritaires et le nationalisme conservateur, dénonce l’industrie militaire et l’instrumentalisation de la peur de l’autre.

Si ces idées sont relativement présentes médiatiquement, elles ne font pas le poids face aux discours belliqueux et militaristes, qui restent largement dominants. Depuis au moins 20 ans, les solutions progressistes n’ont pas été mises en œuvre par les gouvernements occidentaux. C’est la solution militaire qui a été appliquée. Les amis de la guerre, qui affirment très haut et très fort qu’ils n’ont pas le droit de s’exprimer, ont pourtant été écoutés ― beaucoup trop écoutés. La spirale de la violence-militaire-violence-terroriste a donc continué d’élargir son cercle ― par ailleurs sans fin ― en créant sur son passage de plus en plus de victimes.

Depuis au moins 20 ans, les solutions progressistes n’ont pas été mises en œuvre par les gouvernements occidentaux.

Plus encore, le rapport de force est tellement déséquilibré que le discours progressiste sert avant tout de faire valoir aux militaristes. On se retrouve ainsi face à un discours totalement schizophrène où la droite considère la gauche responsable des politiques pourtant mises de l’avant par l’idéologie conservatrice.

C’est ainsi que Richard Martineau accuse la gauche de « propulser le Front national à l’Élysée »; que Michel Hébert affirme que « la compassion fait le bonheur des radicaux… »; et que Mathieu Bock-Côté affirme, comme si depuis trente ans, nos dirigeants ― Bush, Harper, Blair, Obama ― étaient des pacifistes, qu’est sans doute venu le temps des « hommes de guerre »

La boucle est bouclée. Premier nœud : l’apartheid en Palestine engendre le Hamas; l’invasion de l’Afghanistan engendre Al-Qaïda; celle de l’Irak, l’État islamique… Deuxième nœud : le Hamas justifie l’apartheid aux yeux d’Israël; Al-Qaïda légitime l’invasion de l’Afghanistan; et l’État islamique (EI) motive les bombardements en Syrie…

La seule solution qu’elle propose face aux désastres de la guerre est de la poursuivre toujours plus intensément.

La droite profite ainsi de chacune des occasions pour renforcer sa stratégie militariste, celle-là même qui se révèle totalement inefficace depuis des décennies. La seule solution qu’elle propose face aux désastres de la guerre est de la poursuivre toujours plus intensément. À ce sujet, la France a d’ailleurs déjà commencé à intensifier ses attaques contre EI. Chaque attentat installe ainsi les conditions de possibilité du suivant. Chacun d’entre eux fabrique la haine, l’incompréhension, le repli sur soi et la guerre, qui engendrent à leur tour le terrorisme. On tourne en rond dans ce carrousel morbide et ce sont ceux qui refusent de s’étourdir qu’on accuse d’être « angéliques » ou « relativistes ».
Le terrorisme n’existe pourtant pas en dehors du réel façonné par les politiques militaristes. Il n’est pas une force extérieure ou radicalement autre. Il prend forme là où c’est possible, là où on le nourrit.

Et cette nourriture n’est pas toujours halal…