On le constate aujourd’hui, la sortie d’un nouveau plan d’action en santé mentale (PASM) n’était qu’une belle entreprise de relations publiques. Des mots et des phrases bien tournées, de l’argent neuf, des déclarations tape-à-l’œil, il n’en fallait pas davantage selon le ministre Gaétan Barrette pour apaiser dans l’opinion publique les récentes critiques de la Protectrice du citoyen. Malgré la mise en scène, la triste et implacable réalité demeure. Celle d’un gouvernement qui dit faire œuvre honorable pour la santé mentale de ses citoyens, mais qui, dans les faits, agit de manière opposée.
En effet, à quoi bon proposer de nobles objectifs dans un document ministériel si aucune mesure concrète n’est mentionnée et prévue? À quoi bon offrir 70 millions pour la santé mentale alors que des compressions de 700 millions de dollars dans le réseau sont prévues? À quoi bon mentionner l’importance du milieu communautaire si c’est pour le subordonner à l’autorité du réseau public, pour réduire son autonomie et annuler de surcroit un engagement de 160 millions? À quoi bon se dire en faveur de la prévention et de la promotion si on évacue la perspective de la psychothérapie accessible à tous et qu’on pousse les psychologues vers le privé? À quoi bon avoir à cœur la bonne santé mentale de la population si on met de côté, ou même qu’on évacue les pratiques alternatives en santé mentale, puisqu’on ne reconnait que l’approche biomédicale et hospitalo-centriste qui n’en finissent pas d’être des échecs cuisants?
Au-delà du démantèlement progressif et soigneusement orchestré du réseau de la santé et des services sociaux, le principal problème du PASM 2015-2020 et du ministre est de négliger les déterminants sociaux de la santé comme base d’analyse et d’action. Les déterminants sociaux, ce sont les facteurs qui configurent l’état de santé de l’être humain, soit les conditions de vie et de travail, le logement abordable et sécuritaire, le statut social, le revenu décent, le réseau familial et social, le soutien communautaire, notamment. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ils sont « les circonstances dans lesquelles les individus naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent ainsi que les systèmes mis en place pour faire face à la maladie ». Pourquoi prioriser les déterminants sociaux en santé mentale, ou plus globalement en santé?
Eh bien parce qu’en les considérant comme approche d’ensemble des personnes ayant un trouble de santé mentale et ayant à l’esprit que la santé mentale est une réalité éminemment sociale souvent causée par la pauvreté, la violence, le logement inadéquat, on peut « agir sur les obstacles, les difficultés […] associées à l’état de santé mentale qui entraînent, maintiennent ou exacerbent la vulnérabilité des personnes. », comme l’affirme l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec.
Autrement dit, bien que les difficultés de santé mentale soient avant tout vécues de manière individuelle, il ne faudrait surtout pas négliger l’environnement dans lequel elles surviennent. L’environnement a un rôle déterminant dans la protection et dans le rétablissement des individus et groupes vulnérables.
De la sorte, il est préoccupant que les problèmes de santé mentale soient abordés par le gouvernement dans une perspective essentiellement biomédicale et psychologisante. Pensons simplement à la médication rapidement prescrite et à l’intervention individuelle souvent comme seul recours. Sans nier la contribution de l’analyse biomédicale, force est de constater que l’individu apparaît de plus en plus comme la cause principale ou même unique de sa souffrance et de son état, et que s’opère un phénomène de responsabilisation pernicieux. Un processus qui, selon la sociologue Sophie Divay, « tend à renforcer l’attribution des conduites aux personnes, les conduisant à privilégier une forme de “contrôle interne” (c’est de ma faute) tout en éludant parallèlement le poids des structures sociales ». C’est ainsi qu’une psychologisation ne sert souvent qu’à masquer les réalités sociales de domination, de même qu’à déresponsabiliser l’État de son engagement social. Pour plusieurs, n’est-il pas plus aisé de voir une personne « en dépression » plutôt que de considérer le travail aliénant auquel elle peut se prêter, son statut socio-économique précaire, son logement insalubre, et en plus la faiblesse du tissu social et les politiques sociales en place?
Une psychiatrisation grandissante et alarmante des problèmes sociaux s’opère, de même que leur médicalisation et leur médicamentation, qui participent ainsi à évacuer le contenu sociopolitique de problèmes complexes. On troque le social et le politique pour l’individuel et le biomédical.
La société continue ainsi à se parer de nouvelles injonctions qui encouragent les démarches individuelles au détriment d’actions sociales et collectives. Les dysfonctionnements et les maux de la société étant désormais transférés aux individus, lesquels n’ont d’autre option que de rentrer dans le rang, d’épouser les normes édictées. Le tout en « produisant » des comportements dits « normaux » sous le joug de la performance. En fait, en évacuant le « social » et en participant à une pathologisation de l’existence individuelle, l’individu devient responsable d’une société malade; il doit non seulement accommoder son environnement, mais aussi assumer le blâme symbolique – stigmate psychologique oblige. Au besoin, le diagnostic et la médication viendront faire taire les cris et les objections…
À l’opposé d’une société qui chercherait à normaliser et à réduire les causes et les modalités d’intervention à des contours individualistes, nous devons plutôt saisir l’ensemble des dimensions d’une personne en la restituant dans un ensemble social, et ainsi proposer des solutions véritablement durables. Alors que les impacts de la santé mentale sur les individus et la société se font de plus en plus sentir (pensons à l’absentéisme au travail, à la diminution du bien-être parmi la population et à la réduction de la participation citoyenne), les déterminants sociaux doivent impérativement être replacés au cœur de l’intervention sociale. À trop vouloir miser sur la responsabilité individuelle dans les problématiques de santé mentale, les analyses plus globales, systémiques, écologiques et structurelles, sont mises de côté. Les problèmes relevant des rapports sociaux et de l’organisation même de nos sociétés sont ainsi occultés.
En somme, le gouvernement du Québec doit se doter d’un véritable plan d’action en santé mentale devant intégrer des objectifs qui dépassent la seule notion de soins individuels. Pour ce faire, il est grand temps de renouer avec le « social ».
Texte collectif/Signataires
Étienne Boudou-Laforce, intervenant social.
Nérée St-Amand, professeur titulaire, École de service social, Université d’Ottawa.
David Goudreault, auteur, travailleur social et slameur.
Charles Rice, président du Réseau communautaire en santé mentale (COSME).
Geneviève Houde, travailleuse sociale.
Gilles Simard, Pair aidant en santé mentale à Pech.
Jean-Jacques Gaudreault, agent d’intervention de crise.
Stéphanie Garneau, professeure agrégée, École de service social, Université d’Ottawa.
Elisabeth Verreault, travailleuse sociale.
Jean Bottari, activiste et conférencier.
Jean-Marc Fontan, sociologue.
Geneviève Lessard, professeure titulaire à l’École de service social de l’Université Laval.
Bernadette Dallaire, Ph.D., Professeure agrégée, École de service social, Université Laval.
Sabrina Lussier, travailleuse sociale.
Kim Addleman, travailleuse sociale.
Sébastien Bilodeau, candidat à la maîtrise en service social.
Lyne Fortin, étudiante à la maitrise, École de travail social, Université de Sherbrooke.
Marie Andrée Roy, infirmière et parent d’un enfant utilisant les services en santé mentale.
Fabrice Fernandez, Professeur adjoint, Département de sociologie, Université Laval.
Charles Fleury, professeur adjoint, département de sociologie, Université Laval.