Le pays dont je rêve n’existera tant et aussi
longtemps que cette société restera assise
confortablement sur la tête de mon peuple.

Je ne m’appellerai pas Uapukun (Fleur), Shikuan (Printemps),
Shatshitun (Amour), Maikan (Louve) tant et aussi
longtemps que cette société ne saura apprendre
l’enseignement de ce territoire fragile.

Le pays dont je rêve n’existe pas encore que déjà
on le salit en frottant ses chaussures sales sur sa tête.

Le (faux) pays que j’observe ne reconnaît pas son peuple
d’origine, sa matière d’origine, sa propre terre d’origine.

Le sang indigène coulé dans le béton des villes
ne cesse de crier et de grincer des dents
– c’est ce qu’ils voulaient dire par les enfers –
au fond de sa détresse sa mémoire organique

Le (faux) pays que j’observe ne sait pas mentir.

Le (faux) pays que j’observe se pète les bretelles
avec l’argent des armes et du pétrole dans les poches
et dans la bouche et dans les oreilles et dans les yeux.

Le (faux) pays que j’observe n’est digne de personne.
Il ne sait pas vivre. Il ne sait pas dire le mot terre.

Ne sait pas dire le mot peuple.

Il ne sait ce qu’est un peuple et un chef d’un peuple.

Le pays dont je rêve, je l’observerai dans mes songes
entre les aurores et les étoiles, le vieux pays mien perdu.

Le pays dont je rêve, je l’observerai au creux des rapides
en rêvant à mon voyage annuel vers le lieu de ma naissance.

Le pays que je connais est enterré sous le mensonge.

Le pays que je connais ne sait plus crier.

Le pays que je connais a donné sépulture à mes ancêtres.

Le pays que je connais est digne de lui-même.

Le pays que je connais je le pleure la nuit quand je crains
le demain et le lendemain.

Le pays que je connais je l’espère.

Le pays que je connais sait dire si je suis.

Le pays que je connais n’existe pas.