Forts de leur déclaration unilatérale de souveraineté proclamée le 8 septembre 2014, les représentants du Conseil de la Nation Atikamekw ont profité de leur passage à New York, au siège social de l’ONU, pour réaffirmer leur volonté de « disposer librement d’eux-mêmes ». Constant Awashish, Grand Chef de la Nation Atikamekw, accompagné du Chef de la réserve de Manawan Jean-Roch Ottawa et d’un aîné, Jean-Pierre Moar, s’adresse aux membres de l’Instance permanente sur les questions autochtones en parlant au nom de son peuple : « Nous manifestons la volonté d’assurer la maîtrise de notre propre développement […], introduit-il. Notre démarche constitue un processus d’affirmation de notre dignité, de notre identité, de nos droits, ce qui nous sortira de la résignation et de la marginalisation dans lesquelles les états canadiens et québécois nous ont confinés pendant beaucoup trop longtemps ».
Cette autonomie gouvernementale qu’évoque en filigrane le grand chef est devenue l’enjeu majeur de ces dernières décennies pour les peuples autochtones du Canada. La Nation Atikamekw – située dans les régions de Haute-Mauricie et de Lanaudière au Québec – rencontre les mêmes problématiques que la plupart de ces communautés, tant sur le plan de l’exploitation de son territoire que sur les questions de précarité et de santé.
Avec une espérance de vie bien en dessous de la population non autochtone – plus courte de six à sept ans en moyenne et pouvant aller jusqu’à seize ans dans certaines régions – selon le nouveau rapport de Statistique Canada sur paru le 19 août dernier, les Premières Nations seraient deux fois plus à risque d’une mort évitable que la population canadienne. Infrastructures vétustes, discrimination, marginalité, absence d’eau potable dans plus d’une centaine de réserves, traitements médicaux non disponibles ou non délivrés; cette étude démontre que la mise en place de pratiques efficaces de prévention, de politiques en matière de santé publique et de prestations de soins de santé adéquats est indispensable pour enrayer le fléau de la surmortalité prématurée chez les Autochtones. En outre, elle rappelle que le diabète, l’obésité, les maladies cardiorespiratoires et le suicide sont deux à trois fois plus fréquents chez les Autochtones que chez les populations non autochtones; chez les Inuit, le suicide serait même de six à onze fois plus fréquent.
Aussi, le risque de vivre, dès sa plus jeune enfance, des situations de pauvreté, de maltraitance, d’abus sexuels ou de placement en centres ou en familles d’accueil hors de la communauté est presque cinq fois plus élevé. Avec un taux moyen de victimes d’homicides sept fois supérieur aux Canadiens et Canadiennes, la violence conjugale y est également beaucoup plus répandue. En 2015, toxicomanie, alcoolisme, maladies mentales chroniques et négligences sont toujours autant de maux qui gangrènent ces communautés. Ce constat, le Grand Chef de la Nation Atikamekw ne le connaît que trop bien. Convaincu que seule une approche collaborative et respectueuse de « nation à nation » permettra une amélioration de la situation, Constant Awashish déclare face aux experts onusiens« : « Nous recommandons […] la mise en place de mécanismes clairs de coopération entre le personnel de santé compétent, les communautés, les guérisseurs traditionnels, les décideurs et les gouvernements afin de s’assurer que les ressources humaines répondent au profil épidémiologique et au contexte socioculturel des communautés autochtones ».
Le racisme à la racine des maux
Les Atikamekw sont loin d’être les seuls à dénoncer les problèmes sanitaires qui frappent leurs communautés et à réclamer davantage de collaborations. Le 27 août dernier, lors de l’assemblée générale annuelle de l’Association médicale canadienne, à Halifax, Ted Quewezance, un ancien Chef de la Première Nation Keeseekoose de la Saskatchewan dénonçait « la discrimination dans l’accès aux soins de santé et une mauvaise attitude de la part du personnel médical ». Pour ce survivant des pensionnats autochtones, les membres des Premières Nations ne reçoivent pas le même niveau de service que les autres Canadiens et Canadiennes. Visiblement affecté, il témoigne : « Dans ma communauté, nous avons eu 11 morts en 10 jours… ». Une situation de désœuvrement qui devrait davantage alerter le gouvernement, selon lui, et accélérer le déploiement de solutions adaptées.
Ce phénomène de discrimination dans le système de santé est pointé du doigt par le rapport accablant de l’Institut Wellesley. L’étude démontre que le racisme est un facteur majeur dans l’explication des disparités entre la santé des Autochtones et des groupes non autochtones au Canada. Selon les auteures, Dre Billie Allan et Dre Janet Smylie, les politiques gouvernementales coloniales, telles que la discrimination raciale, la ségrégation, le génocide culturel, l’oppression socio-économique et les pensionnats autochtones ont été extrêmement destructrices et ont contribué à l’érosion identitaire de ces peuples.
Les auteures évoquent même l’existence d’« un inconscient parti pris pro blanc » parmi les travailleurs et travailleuses de la santé qui serait encore nuisible aujourd’hui à la santé des Autochtones. Si les efforts au niveau du système de santé canadien pour faciliter l’accès aux soins doivent être encouragés, il s’agit également de saluer les nombreuses initiatives qui voient le jour sur le territoire. Le rapport fait mention de plusieurs structures offrant des réponses efficaces et adaptées aux problématiques sanitaires autochtones. Selon les auteures, la prise en compte de l’aspect psychoculturel comme déterminant de la santé est indispensable. C’est pourquoi la promotion des connaissances et du savoir-faire autochtone en matière de santé constitue la clé de voûte de la guérison.
Santé des Autochtones au Québec : panorama et initiatives
Au Québec, les Autochtones ne représentent que 1,8 % de l’ensemble de la population québécoise, soit onze nations de 54 communautés, dont 72 % vivent dans des réserves. Si les mêmes disparités que sur le plan national sont observées, une amélioration de l’état de santé des communautés au Québec semble toutefois s’amorcer, et ceci grâce à diverses initiatives, comme le souligne Marjolaine Sioui, directrice générale de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (CSSSPNQL).
Mise en place en 1994, la CSSSPNQL est née de l’initiative des chefs de communautés désireux que leurs intérêts et leurs efforts en matière de santé et de services sociaux soient soutenus. En collaboration avec l’Institut National de Santé Publique du Québec (INSPQ), l’organisme crée des ponts entre les cultures et propose des programmes de santé adaptés. Le renforcement de l’estime de soi, la transmission de savoirs traditionnels, l’apprentissage du leadership et le développement de diverses habiletés sociales et parentales sont quelques-uns des objectifs définis par la Commission.
Ainsi, les données issues de leur dernier recensement de 2008 démontrent que la mortalité infantile et les maladies infectieuses chez les peuples autochtones sont en baisse, tandis que l’espérance de vie tend à s’allonger; celle-ci restant néanmoins bien en dessous de l’espérance de vie d’un Québécois ou d’une Québécoise. En se fiant aux listes de bandes gérées par chaque communauté, les données de la CSSSPNQL permettent d’avoir une estimation précise des problématiques de santé que les individus issus de ces communautés rencontrent. Et, à l’instar du rapport de Statistique Canada, l’enquête révèle un taux de cancer en augmentation; un taux de suicide qui reste également trois à quatre fois plus élevé que chez les allochtones, ainsi qu’une recrudescence du diabète et de l’obésité infantile. En ce qui concerne le recensement des maladies mentales chroniques, les données sont encore peu fiables et difficiles à évaluer, d’après la directrice générale de la CSSSPNQL.
Marjolaine Sioui, qui a occupé plusieurs postes à la Commission depuis 1997, dont celui de directrice générale, a eu écho du rapport Premières Nations, Traitement de deuxième classe de l’institut Wellesley. Elle témoigne de son expérience : « Le racisme dans le système de santé québécois est avéré. Nous recevons de plus en plus de plaintes et de témoignages d’individus ayant été victimes de racisme en allant chercher des services de santé. Les gens osent davantage parler de ces choses depuis quelques années ». Le Québec ne ferait donc pas exception en matière de discrimination. Elle poursuit : « Nous avons essayé d’entamer des discussions à ce sujet avec le gouvernement, mais il ne veut pas en entendre parler. Il semble réticent à l’idée de mettre en place des actions spécifiques ».
En 2013, l’ancienne ministre déléguée aux Affaires autochtones, Élisabeth Larouche, avait pourtant annoncé un plan d’action contre le racisme envers les autochtones et mené des consultations auprès des communautés. Mais avec le changement de gouvernement, les discussions ont été interrompues. « Nous sommes des gens issus et nés sur ce sol, défend la directrice issue de la communauté de Wendake. C’est quelque chose que l’on vit depuis des centaines d’années. Il faut en parler. Tout ce que l’on demande, c’est un plan d’action pour faire connaître, reconnaître et diminuer ce phénomène. Il y a des chiffres à l’appui ».
Elle évoque également le vide juridique qui touche les communautés non conventionnées. Près de trente-quatre d’entre elles ne bénéficieraient pas de l’ensemble des services de santé financés par le gouvernement. Malgré les défis majeurs restant à relever, Marjolaine Sioui se réjouit des actions menées « par et pour les Autochtones » depuis 2010. « Les communautés autochtones au Québec ont développé une expertise, dit-elle, et elles doivent désormais aller vers la prise en charge de leurs services ». Elle cite notamment l’exemple de la mise en place de services de prévention et de protection au sein de chaque communauté; ce qui aurait permis de diminuer le nombre d’enfants placés en foyer ou en famille d’accueil. En outre, la bonne communication avec les institutions québécoises s’établit progressivement, d’après elle, avec l’augmentation du nombre de collaborations et de partenariats.