Alors que les sondages se succèdent à la toute veille du scrutin fédéral et que semble se profiler à l’horizon l’élection d’un gouvernement libéral mené par Justin Trudeau, l’heure des premiers bilans est arrivée. Le constat est implacable : le NPD de Thomas Mulcair semble depuis longtemps avoir abandonné le ballon au profit de son adversaire libéral. Au-delà de la défaite anticipée de Stephen Harper, Mulcair apparaît déjà comme le principal perdant de la plus longue campagne de l’histoire politique récente, alors que le NPD caracolait pourtant en tête des intentions de vote il y a quelques semaines à peine.

Le bon « Tom »

Les choix qui ont dicté la marche de la campagne néodémocrate ont laissé songeurs plusieurs analystes de la scène politique canadienne. Alors que Mulcair avait toujours été perçu comme un redoutable parlementaire et débateur – d’aucuns diront qu’il avait l’art de faire des « jobs de bras » – les organisateurs du NPD, sans doute sous l’influence de quelques focus groups, ont plutôt choisi de nous présenter leur chef sous un « nouveau » jour. C’est ainsi qu’est apparu le simple nom de « Tom » sur les pancartes électorales du parti, nous présentant un chef souriant, sans veston et la cravate dénouée, comme si le diminutif du prénom du chef et l’air amène de Mulcair allaient rappeler aux électeurs la sympathie qu’ils éprouvaient il y a quelques années pour le bon « Jack ».

Or, en communication politique, il est beaucoup plus difficile de faire oublier l’image laissée par une longue carrière parlementaire ou de faire passer un candidat pour ce qu’il n’est pas, plutôt que de tabler sur les qualités réelles d’un aspirant chef pour le propulser vers l’avant. Mulcair est un adversaire politique impitoyable en chambre? Disons plutôt qu’il est un orateur passionné et convaincu. « Tom » semble parfois au-dessus de ses affaires et semble mépriser ses adversaires? Misons plutôt sur sa connaissance profonde – et bien réelle – des enjeux qui sont au cœur de la campagne. Face à un premier ministre qui a fait de l’insécurité son principal thème de campagne, il n’y avait aucun avantage à présenter le chef néodémocrate comme un grand-père aimant et souriant, jouant par terre avec ses petits-enfants. Les électeurs se cherchaient avant tout un leader qui semblait à la fois fort, et surtout, capable de les inspirer après des années d’un règne conservateur terne et nocif pour le climat social. Le bon « Tom » et ses spécialistes de la communication ont échoué à canaliser ce désir.

Or, en communication politique, il est beaucoup plus difficile de faire oublier l’image laissée par une longue carrière parlementaire ou de faire passer un candidat pour ce qu’il n’est pas, plutôt que de tabler sur les qualités réelles d’un aspirant chef pour le propulser vers l’avant.

Trudeau dans l’angle mort

Surtout, alors qu’on attendait du principal représentant de la gauche canadienne un programme politique à même de faire rêver la population, Mulcair s’est retranché derrière une approche « pragmatique » sur la question des finances publiques, promettant aux électeurs de maintenir l’équilibre budgétaire dans la première année d’un gouvernement néodémocrate et surtout, de ne pas hausser l’impôt des plus fortunés. Il n’en fallait pas plus pour qu’un Justin Trudeau, que tous se plaisaient à sous-estimer – votre humble serviteur compris – se positionne à la gauche du NPD en promettant de hausser le taux d’imposition du « 1% » et de présenter trois budgets déficitaires afin de relancer l’économie du pays, qui a récemment montré des signes inquiétants d’essoufflement. À trop vouloir accroître son électorat à « l’extrême-centre » de l’échiquier politique, le NPD s’est fait doubler sur sa propre gauche et a été incapable de maintenir des acquis qui semblaient pourtant solides en tout début de campagne.

À trop vouloir accroître son électorat à « l’extrême-centre » de l’échiquier politique, le NPD s’est fait doubler sur sa propre gauche et a été incapable de maintenir des acquis qui semblaient pourtant solides en tout début de campagne.

Le « niqabgate » a fini de briser les rêves de pouvoir des troupes néodémocrates en raison d’une réaction politique en complet décalage par rapport à l’opinion majoritaire au pays sur la question. S’il était légitime pour le chef néodémocrate de tenter de se tenir loin d’un débat qui réunissait tous les ingrédients pour provoquer un dérapage médiatique en règle, sa défense acharnée des libertés individuelles, alors même que la cour d’appel n’avait pas tranché la question sur le fond – contrairement à ce que Mulcair a répété durant les dernières semaines de campagne – a fini par dilapider le capital de sympathie dont bénéficiait son parti au Québec. Au deuxième ou troisième jour du « scandale », Thomas Mulcair aurait dû résolument refuser de répondre aux questions entourant la décision de la cour d’appel pour promettre, dans un second temps, un vote totalement libre au parlement sur la prestation de serment à visage découvert. Ce faisant, il aurait souligné l’inaction du Parti conservateur sur la question, lui qui a été incapable d’amender la loi sur l’immigration afin de la rendre cohérente avec ses directives ministérielles.

Désormais, la course semble complètement ouverte entre le PLC, le NPD et le Bloc dans le Québec francophone, alors que les trois partis sont à quasi-égalité, selon le dernier coup de sonde Léger.Dans bien des circonscriptions de tradition néo-démocrate récente, la division du vote pourrait réserver des surprises demain soir, alors que certains candidats du Bloc, aidés par une machine péquiste bien huilée, pourraient peut-être réussir à se faufiler entre leurs adversaires, notamment en Montérégie et ailleurs en région.

Dans bien des circonscriptions de tradition néo-démocrate récente, la division du vote pourrait réserver des surprises demain soir, alors que certains candidats du Bloc, aidés par une machine péquiste bien huilée, pourraient peut-être réussir à se faufiler entre leurs adversaires, notamment en Montérégie et ailleurs en région.

Les Anciens disaient que la Fortune (la Tyché des Grecs) est une maîtresse capricieuse et qu’elle peut aisément changer de camp, faisant et défaisant les carrières des grands chefs politiques. Cette présente campagne nous aura prouvé – après les revirements spectaculaires de 2007 et 2011 au Québec – que les élections sont des moments forts singuliers de notre vie politique où la certitude n’est pas de mise, et que le pouvoir appartient non pas à ceux qui se réfugient dans une attente prudente, mais bien à celui ou celle qui sait tenter un tant soit peu le destin. Thomas Mulcair l’aura appris durement.