Depuis le début des années 2000, on ne reviendra pas sur le fait que l’image numérique a accéléré son processus de transformation et est devenue omniprésente dans nos quotidiens. Elle a atteint toutes les générations sans exception, autant dans l’utilisation, l’acte de prendre une photo, que dans la lecture d’image par le biais des médias ou des réseaux sociaux multiples. Nous sommes inévitablement baignés dans un monde d’images. Est-ce un bien ou un mal? Peu importe. La question essentielle est plutôt d’apprendre à les interpréter. Sans parler du selfie, auquel nous accordons peut-être trop d’importance, l’image a un pouvoir; celui de transformer une réalité. Les médias, entre autres, jouent des phénomènes viraux, c’est donc à nous, lecteurs et lectrices, de nous interroger face à ce que l’on nous propose et ce qui se « cache » derrière la photographie.

Nous sommes inévitablement baignés dans un monde d’images. Est-ce un bien ou un mal? Peu importe. La question essentielle est plutôt d’apprendre à les interpréter.

La sélection de cette 14e édition du Mois de la Photo à Montréal (MPM) a donc souhaité bousculer et offrir un tour d’horizon de ces nouvelles formes photographiques afin d’amener le public à se questionner sur son rapport à l’image. L’équipe du MPM et son commissaire invité Joan Fontcuberta, artiste et chercheur de renommée dans le domaine, s’était donné pour mission d’ouvrir les débats et de nous confronter à notre propre consommation et notre utilisation de la photographie, devenues quotidiennes et spontanées. Pour cela, la programmation accueillait un éventail d’installations et de sujets qui nous concernent tous : la vidéosurveillance, la collecte de données biométriques, les communications, ou encore l’archivage d’informations personnelles. Pour ne citer que quelques-unes des expositions de ce Mois de la Photo 2015, les photographies de l’artiste australienne Patricia Puccinini à la Galerie de L’UQAM suggéraient l’anticipation d’un monde où l’homme cohabite avec ses inventions génétiques tandis que dans le champ de la photographie documentaire, l’installation interactive du photojournaliste Liam Maloney rapportait la situation de Syriens réfugiés au Liban. Dans le vif de l’actualité, les sujets étaient photographiés à la simple lueur de leur cellulaire, indispensable outil leur permettant de localiser leur itinéraire, mais aussi l’unique façon de conserver un contact avec leur proche. Pour ce projet, l’artiste canadien vient d’ailleurs de remporter le Prix Dazibao, en partenariat avec le MPM, et son travail fera prochainement l’objet d’une publication au Québec.

Texting Syria
Photographie imprimée montée sur boîte lumineuse ultramince à DEL, 60,96 x 91,44 cm
Liam Maloney

La réutilisation d’images ou les captures d’écrans sont également les matières premières des arts numériques. Dans l’exposition À la douce mémoire, les deux membres du collectif After Facebøøk se sont, eux, intéressés à la représentation post-mortem de l’individu sur les réseaux sociaux. L’installation se veut une déambulation dans les allées d’un cimetière où des mégaserveurs remplaçant les stèles invitent le public à s’allonger pour regarder défiler des centaines de messages commémoratifs sur les pages Facebook des défunts. On s’interroge : sommes-nous encore capables de préserver l’intimité du processus du deuil? Notre rapport à la mort a-t-il changé? Sommes-nous en quête de sensationnalisme ou d’exhibition même dans notre douleur? Pour les deux jeunes artistes nés dans cette nouvelle ère numérique, l’affichage public n’est pas un substitut de la cérémonie, mais devient « complémentaire » au recueil traditionnel. En créant ces hommages virtuels, répandus en Amérique du Nord, on en oublierait presque que ces messages s’archivent dans des bases de données pérennes, et rendent immortelle l’identité de l’individu après sa mort.

On s’interroge : sommes-nous encore capables de préserver l’intimité du processus du deuil? Notre rapport à la mort a-t-il changé? Sommes-nous en quête de sensationnalisme ou d’exhibition même dans notre douleur?

Ce Mois de la Photo éveillait les consciences sur les enjeux des nouvelles communications et de l’évolution des technologies. Alors que l’on s’acharne à s’interroger depuis plusieurs années, sur l’avenir du photojournalisme, ou depuis l’arrivée du digital, sur l’éventuelle mort de la photographie traditionnelle, de nouveaux outils s’imposent. Il est important dorénavant, face à cet accès abondant de rester simplement vigilant quant à la lecture des images et leur interprétation, autant dans le domaine de l’information que de l’art contemporain.

L’exposition est présentée au Musée McCord et se prolonge jusqu’en janvier 2016.