On pouvait lire ce matin dans le Huffington Post que « la direction du quotidien annonce la suppression de 158 emplois, donc 43 postes à la rédaction. » L’ambiance qui règne dans la salle de rédaction, alors que les journalistes et autres employé-e-s entrent maintenant dans une période d’attente intenable, doit avoir la pesanteur de celle d’une veillée mortuaire.

Le numérique

Le milieu des médias ne va pas très bien depuis quelques années. J’en sais quelque chose. Je viens moi-même de perdre mon poste de journaliste pour une troisième fois en l’espace de trois ans, par trois institutions médiatiques différentes de surcroit (Radio-Canada, Transcontinental et Newzulu). Quel avenir, donc, pour ce métier qu’on dit souvent « le plus beau du monde »? Un virage au numérique est sans doute inévitable, mais vient avec d’autres questionnements et incertitudes pour l’avenir d’un quotidien. Ricochet est bien placé pour le savoir. Malgré que nous ayons choisi, dès notre naissance, d’être exclusivement sur le web, nous ne sommes pas à l’abri de la précarité financière, et les recherches de moyens afin de subsister ne peuvent se permettre aucun relâchement.

Un virage au numérique est sans doute inévitable, mais vient avec d’autres questionnements et incertitudes pour l’avenir d’un quotidien.

On peut également se demander ce qu’implique un virage purement numérique. Congédie-t-on des journalistes pour engager plus de vidéastes? On dit souvent « qu’une image vaut mille mots », mais est-ce vraiment le cas? La tendance vidéo est très forte dans les médias. Le format est plus rapide et plus sensationnaliste qu’un texte, l’attention requise est moindre que pour lire un texte que pour regarder une vidéo, mais qu’en est-il de l’information? De l’analyse des faits? De formats longs, rigoureux et fouillés? Car il est faux de dire que les internautes sont incapables de lire des textes de plus de deux pages. La popularité du format long du Guardian, par exemple, témoigne d’un intérêt certain pour les lectures de long souffle. Un réel besoin se fait sentir de la part des consommateurs de nouvelles de retourner à une information de base, moins axée sur l’image et l’instantanéité. Prendre un virage numérique, oui, mais à quel prix, et aux dépens de quel type d’information?

La popularité du format long du Guardian, par exemple, témoigne d’un intérêt certain pour les lectures de long souffle.

Dans l’ère numérique, qui aura accès à l’information? Bien que nous soyons dans une ère ultra branchée, l’accès à la technologie est loin d’être universel, même au Québec. Toute une partie de la population, pour des raisons générationnelles ou économiques, n’aura désormais plus les moyens d’accéder à l’information, précisément parce qu’elle ne sera que numérique. Cela soulève, au-delà de la plateforme, des enjeux démocratiques importants.

Les autres

Ce sont les journalistes qu’on lit chaque jour dans les quelques quotidiens papier qu’il reste et dont les visages (concept absurde, car ce n’est pas les visages qui devraient vendre, mais le contenu) accompagnent les articles et déferlent sur les réseaux sociaux.

Mais pour faire un journal, quotidien et papier en plus, un nombre incalculable de personnes travaillent chaque jour dans l’ombre, souvent jusqu’à très tard dans la nuit, afin que les nouvelles nous soient livrées et mises en ligne chaque jour. Oui, il est triste de voir des journalistes perdre leur emploi, et chaque fois que des coupures sont annoncées, on fait grand cas de la profession, de la précarité, des conditions du métier.

Mais pour faire un journal, quotidien et papier en plus, un nombre incalculable de personnes travaillent chaque jour dans l’ombre

Mais ceux et celles dont on ne voit jamais le visage, dont on ne connait pas les noms, et qui souvent, sont là depuis plus longtemps que l’âge de la plupart des journalistes de la salle de rédaction, ceux et celles-là, nous n’en parlons pas. Ils perdent leur emploi dans le silence le plus complet hormis un chiffre lors de l’annonce des coupures. Ceux et celles-là, il leur est parfois bien plus difficile qu’à bien des journalistes de se retrouver un emploi, possiblement à cause de leur âge, mais plus probablement parce que leur métier n’existe tout simplement plus. Qu’on pense aux imprimeurs par exemple, ou aux pupitreurs papier.

En cette journée qui, une fois de plus, annonce de bien tristes choses pour ce métier que nous tentons d’aimer chaque jour malgré ce qu’il impose, l’avenir du journalisme est une fois de plus remis en question. Toute ma solidarité aux employé-e-s, journalistes ou non, de La Presse.