Heureusement, 10 ans plus tard, c’est n’était plus la taille des macarons qui attirait mon attention. À l’époque, j’étais étudiante dans une école hors réserve, où le sujet identitaire était au centre des conversations. Trop jeune pour voter, nous pouvions tout de même nous prononcer entre nous et surtout, sentir la fébrilité qui entourait le moment. J’en venais presque à vouloir ce pays autant que mes amis à l’époque. La seule différence entre eux et moi : je ne m’identifiais pas comme Québécoise. Grosse différence, qui se ferait sentir et distinguerait mon approche du vote et des élections pour les années à venir.
L’absence complète de la question autochtone dans la vision de ce nouveau pays du Québec et l’absence d’un visage autochtone pour nous parler de la souveraineté ont contribué à l’éloignement des Premières Nations de la discussion et des questions les touchants lors du dernier référendum… mais au lendemain du scrutin, nous savions que nous faisions partie du « vote ethnique », que notre voix serait toujours distincte, peu importe les enjeux, même face à ceux que nous pouvions avoir en commun.
Candidats popcorn
Le taux de participation de la population autochtone au Québec est plus basse que partout ailleurs au Canada, surtout pour la population vivant dans des réserves. Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas impliqués politiquement ou dans nos communautés. Il suffit de voir l’effervescence d’une communauté lors des élections locales pour comprendre… et surtout pour voir que l’impact des élections canadiennes s’arrête à l’entrée d’une réserve, toutes les questions provinciales et fédérales étant du ressort des Chefs et conseillers. Voter aux élections dans une réserve au Canada, ce n’est que choisir avec qui les Chefs négocieront pour les quatre prochaines années. L’intérêt diminue encore plus lors d’élections provinciales. Cependant, l’augmentation de la population autochtone en milieux urbains dans les dernières années a fait naitre une nouvelle « population », touchée autant par les politiques sur réserve qu’en dehors.
Avec la montée de la mobilisation des dernières années et l’apparition de la politique et de la voix autochtone dans les médias, l’importance d’une représentativité des Premières Nations aux élections à venir se fait sentir, et les impacts se font voir. L’augmentation du nombre de candidats autochtones est importante, surtout en vue de la grande mobilisation « N’importe qui sauf Harper ».
Le principal problème, c’est celui de l’instrumentalisation des figures autochtones connues. Des politiciens autochtones, il en existait avant l’arrivée des conservateurs au pouvoir. Cependant, une tendance s’est dessinée ces derniers mois ; dénombrer les candidats autochtones potentiels en lice.
Nous avons assisté à une montée de « candidats popcorns », des candidats instantanés qui n’ont aucune expérience en politique fédérale. Le danger d’avoir des candidats qui ne font que figure d’autochtones de service est double. D’une part, ne considérer que l’aspect racial d’une candidature ouvre justement la porte aux commentaires racistes qui risque, d’autre part, d’éloigner encore plus les autochtones du désir de participer aux élections et d’ainsi modifier la relation avec la population du reste du pays.
Des candidats autochtones, oui, mais parce qu’ils sont informés et motivés, et non seulement parce qu’ils sont autochtones. L’instrumentalisation de l’identité nuit à la population autochtone plus qu’elle ne lui est bénéfique. Ne vous y trompez pas : d’excellents candidats et députés autochtones sont au travail présentement, ainsi que plusieurs alliés dans des circonscriptions comptant une population majoritairement autochtone, mais d’autres se sont mis au service de Harper…
Vote blanc ou voter blanc?
Un courant de pensée très fort chez les autochtones soutient qu’en ne votant pas aux élections provinciales et fédérales canadiennes, nous affirmons ainsi une identité autochtone distincte au Canada. Pour qu’il y ait une véritable souveraineté autochtone, nous ne pouvons nous réclamer d’un droit qui appartient aux citoyens canadiens, car de ce fait, l’utiliser serait une affirmation de la citoyenneté canadienne, donc d’une assimilation réussie.
Il faut comprendre que l’accès au droit de vote pour les Premières Nations fait partie des mécanismes d’assimilation intégrés dans la Loi sur les Indiens. Pour avoir accès à ce droit, il fallait devenir canadien aux yeux de la loi et renoncer aux droits ancestraux, qui sont encore à ce jour reconnus par l’Article 35 de la Constitution canadienne et par la Cour suprême du Canada, variant selon la nation à laquelle l’individu appartient. Quand le débat sur l’accès au droit de vote pour les autochtones a commencé en 1885, il a vite été décidé que le vote ne pouvait être donné aux Indiens, considérés comme des enfants sous tutelle du gouvernement fédéral.
À partir de ce moment, les acquis électoraux pour les autochtones au Canada ont été octroyés au compte-goutte. En 1924, les anciens combattants sont les seuls à avoir le droit de vote jusqu’en 1948, quand les autochtones reçoivent le droit de vote, sauf ceux inscrits sous la Loi sur les Indiens, qui ne désirent pas perdre leurs droits. En 1960, tous les Indiens inscrits acquièrent le droit de vote, sans avoir à perdre leurs droits issus de traités. Finalement, en 1969, le Québec nous donne le droit de voter aux élections provinciales. Il faudra attendre en 2007 pour voir le premier autochtone élu à l’Assemblée nationale.
Le droit de vote a été utilisé pour convaincre les autochtones de se joindre à la population active et de passer du statut d’enfant et d’Indien à celui de citoyen canadien, faisant de l’indien un blanc à l’époque… Ce fut un échec cuisant pour la politique « indienne » au Canada, qui a eu pour effet d’identifier le droit de vote à un agent « blanchissant », au même titre que les études supérieures ou les emplois dans la fonction publique. Car, selon la Loi sur les Indiens, pour avoir accès à ces privilèges, il fallait renoncer à son identité légalement, devenant ainsi un non-indien. Pour plusieurs autochtones, ne pas voter est donc une prise de parole politique. Une abstention ou un « vote blanc » vaut mieux que de « voter comme un blanc ».
Traités et accord de Kelowna
Cette ligne de pensée est renforcée par le fait que les peuples autochtones au Canada, qu’ils soient Indiens inscrits, Premières Nations, Métis ou Inuits, ont un statut légal distinct qui découle de l’application de l’Article 35 de la Constitution et des relations de traités ratifiés depuis les débuts de la colonisation.
Un traité important qui représente bien cette distinction est celui du « Two row Wampum », une entente établie entre les colons et la nation Haudenosaunee il y a 400 ans : chacun sa rivière, chacun son canot et son bateau, vivant ensemble sans interférences. Ce traité, considéré comme toujours en vigueur par la nation Haudenosaunee, ne fait plus partie de la mémoire collective canadienne, car ses signataires appartiennent à un lointain passé et, à chaque changement de gouvernement, ces ententes ont sombré dans l’oubli.
C’est d’ailleurs l’un des grands défauts de la politique fédéraliste canadienne dans sa relation avec les nations autochtones : à chaque changement de gouvernement, tout est à recommencer. En 2005, une lueur d’espoir surgit avec l’Accord de Kelowna, un nouvel engagement entre le gouvernement et les Premières Nations qui devait apporter des changements en éducation et en santé, de même que pallier aux autres grandes lacunes de la vie des communautés autochtones. Tout ce travail commun a été balayé du revers de la main quand une nouvelle élection a élu un autre parti : Harper a pris le pouvoir et a plongé les relations entre gouvernement et autochtones à un niveau abyssal.
Jamais un parti et un gouvernement au pouvoir n’a autant clairement cherché à renier la relation historique et n’a autant insisté sur la disparition du statut distinct des peuples autochtones au Canada, ignorant par le fait même les ententes passées, présentes et futures, ruinant des acquis durement négociés.
D’ailleurs, jamais les tables de négociations n’ont été autant mises à mal ; des ententes qui se font en échange de l’abandon de droits. Il s’agit plutôt de tables de terminaison. On négocie avec les communautés une à une plutôt que par nation. Diviser pour mieux conquérir, l’un des succès de cette vision politique, qui revient à travailler pour le plus petit groupe plutôt que pour le bien commun.
À qui va ton vote?
Je dois avouer qu’idéologiquement, j’aimerais voter pour un gouvernement qui me représente, qui parle avec les différentes pallier du pouvoir d’égal à égal en ce qui concerne les questions territoriales, et qui travaille aussi à faire entendre la voix de sa population urbaine, en s’assurant que les services soient accessibles et adaptés. Avoir cette voix distincte, mais avoir pour but de travailler ensemble à un projet commun : c’est ce qui, je pense, était absent en 1995 et aurait pu en sceller le succès.
Cependant, je ne me laisserai pas impressionner par la taille, la couleur ou l’origine du macaron. Cette année, mes idéaux sont assez clairs : j’utiliserai le stylo de M. Harper pour voter contre lui s’il le fallait, et peut-être ainsi faire comprendre qu’on ne peut plus nous reléguer dans un coin obscur de l’histoire. Entre deux élections.