«Il y a longtemps, mon père m’a raconté les périodes difficiles. Même s’il ne tuait qu’une seule perdrix, il la partageait avec toute sa famille. Nous étions des chasseurs et des trappeurs. Nous vendions nos fourrures à la Compagnie de la Baie d’Hudson. Mais cela ne nous rapportait pas beaucoup. C’était très difficile de survivre l’hiver. Parfois, nous devions manger les tirailles du cuir des peaux afin de ne pas mourir de faim. Mais maintenant, il est encore plus difficile de vivre du territoire à temps plein. À cause des coupes forestières, les animaux sont devenus rares. Les compagnies forestières ont fait du mal à notre terre. Aujourd’hui, je n’ai plus grand espoir de revoir notre terre dans l’état où elle était avant. Rien ne peut arrêter les compagnies.» – Edward Ottereyes, aîné de Waswanipi.

À Waswanipi, il ne reste pas beaucoup de personnes comme Edward Ottereyes. «Edward est une voix forte dans notre communauté. En survivant aux famines, il a fait vivre son nom. Lors des famines que notre peuple a vécues, beaucoup de noms se sont perdus», explique Michael Neeposh, professeur de culture crie à l’école secondaire de Waswanipi. Edward, comme beaucoup d’aînés de la communauté, ne parle ni anglais, ni français: le cri est la seule langue qu’il maîtrise.

Edward Ottereyes
Émile Duchesne

Waswanipi: une jeune communauté

La communauté de Waswanipi a été fondée en 1976 avec la signature de la Convention de la Baie-James. Avant cette date, les différentes familles de Waswanipi vivaient ailleurs sur le territoire la plus grande partie de leur temps. Tous les étés entre 1914 et 1965, les familles se regroupaient pour quelques jours autour du poste de traite. Après la fermeture du poste, ils vivaient dans les villes environnantes comme Chapais, Miquelon et Demaraisville, parfois dans des maisons, mais le plus souvent dans de petites cabanes qu’ils avaient eux-mêmes construites en retrait des villes. La construction de la communauté aura été l’occasion de vivre à nouveau ensemble pour les différentes familles de Waswanipi.

C’est alors un processus de sédentarisation qui s’est amorcé pour les cris de Waswanipi. Certains se sont trouvé des emplois malgré maintes difficultés: les Cris n’étaient alors pas qualifiés, et le racisme était un obstacle important à l’embauche. La communauté mettra progressivement en place ses propres structures, à commencer par un gouvernement local et, plus important encore, la construction d’une école pour retirer les jeunes des pensionnats autochtones. La communauté mettra aussi en place la compagnie forestière Mishtuk au début des années 1980.

Waswanipi et la foresterie

70% des coupes forestières en territoire cri ont été effectuées sur le territoire de la communauté de Waswanipi. En tout, c’est 34 000 km de route forestière qui arpentent le territoire de la communauté. Beaucoup de lignes de trappe ont ainsi été endommagées ou anéanties par les coupes. Les trappeurs acceptaient généralement des compensations de la part des compagnies, mais la dynamique est en train de changer: «C’est assez!» martèle Steven Blacksmith, directeur des ressources naturelles au Conseil des Cris de Waswanipi.

70% des coupes forestières en territoire cri ont été effectuées sur le territoire de la communauté de Waswanipi.

Les coupes forestières ont atteint un degré d’intensité que les Cris ne peuvent plus supporter: «Nous ne sommes pas anti-développement, mais le développement se doit d’être soutenable», poursuit Steven Blacksmith. «On ne connaît pas les conséquences économiques d’un ralentissement dans le secteur de la foresterie. Par contre, nous savons qu’il n’y aura pas assez d’arbres pour les prochaines générations de Cris et de caribous», ajoute-t-il.

Coupes forestières
Émile Duchesne

Une aire protégée pour le caribou forestier et le mode vie des Cris

Pour assurer la préservation du territoire et de leur mode de vie, les Cris de Waswanipi demandent la création d’une aire protégée de 13 000 km² dans la vallée de la rivière Broadback. Le secteur de la Broadback représente l’un des derniers segments de forêt boréale vierge en forêt commerciale (c’est-à-dire pour laquelle les compagnies forestières peuvent obtenir un permis de coupe). «Pour nous, la Broadback est un symbole. Si on ne la sauve pas, nous ne pourrons pas sauver notre mode de vie», explique Steven Blacksmith.

Au cœur de ce projet d’aire protégée: la protection du caribou forestier. Le caribou forestier, pilier essentiel de la culture crie, est considéré comme une espèce vulnérable depuis 2005. Les Cris ont basé leur subsistance sur le caribou depuis des temps immémoriaux et ont récemment accepté de ne plus le chasser afin d’assurer sa survie. «Après le caribou qu’est-ce que ce sera? L’orignal? Les martres? Nous devons écouter les signaux qui nous sont envoyés par la nature», soutient Steven Blacksmith. L’idée d’une aire protégée dans la vallée de la Broadback est supportée par une équipe de spécialistes du caribou forestier dans un rapport daté de 2012.

Les Cris occupent toujours leur territoire pour exercer le mode de vie que leur ont légué leurs aînés: «Je suis un trappeur. Je vis dans le bois. Oui, notre présence sur le territoire a maintenant une importance politique, mais elle est surtout importante pour les générations futures. Nous devons leur léguer notre savoir-faire, mais surtout, leur montrer ce qui doit être protégé. Le territoire et les rivières sont des parties sacrées de notre culture. Ça, les jeunes ne devront pas l’oublier», raconte Allan Cooper, trappeur et conseiller au Conseil des Cris de Waswanipi.