Le retour en politique de Gilles Duceppe a eu l’effet d’une bombe… dans une piscine. Ce fut effectivement une nouvelle à laquelle personne ne s’attendait. Elle a été suivie d’un sondage plutôt encourageant pour le Bloc, mais l’effet de nouveauté a disparu aussi rapidement qu’il est venu, le temps d’un éclair. La campagne du Bloc éprouve de nombreuses difficultés, mais deux messages m’apparaissent davantage problématiques. D’abord, tout ce qui augmente le fossé entre les différentes tendances indépendantistes. Ensuite, les signaux qu’envoie le parti par rapport à une potentielle collaboration avec les conservateurs.
« Qui prend pays prend parti »
Dès le déclenchement de la campagne électorale, j’ai été frappé par l’agressivité de beaucoup de militants du Bloc, surtout à l’endroit des partisans de Québec solidaire. Il est vrai que ces derniers sont des électeurs potentiels pour le Nouveau parti démocratique (NPD), mais aussi un électorat qui pourrait très bien voter pour le Bloc. Les attaques sont virulentes et se fondent sur un raisonnement sans nuance : il y a les « bons souverainistes » et les « traîtres ». Stéphane Gobeil, ancien rédacteur de discours pour Pauline Marois et blogueur au Journal de Montréal, affirme que la gauche qui vote NPD, comme Mulcair est un ancien libéral, vote donc en faveur de l’austérité. Alain Therrien, député du Parti québécois (PQ), a accusé sur sa page Facebook Françoise David d’appuyer Alexandre Boulerice du NPD (ce que QS a rapidement démenti) et, comme si cela allait de soi, l’austérité libérale. Je me disais que ce spin n’avait cours que sur les médias sociaux ou uniquement dans des blogues partisans. Mais j’avais tort.
Le Bloc a illustré toute cette agressivité dans son nouveau slogan. Il s’agit encore là d’une autre preuve que le Bloc n’a pas changé sa stratégie depuis la dernière élection fédérale, le parti l’a tout simplement radicalisée. Ce slogan en est l’incarnation…
En fait, on dirait une ligne politique destinée aux militantes et militants. Disons-le : ce n’est pas un slogan qui fera gagner ou perdre une campagne électorale. Mais ce dernier a pour but de synthétiser l’image et les idées du parti. Nous sommes loin de l’excellent « Un parti propre au Québec » de la campagne de 2004, alors que le scandale des commandites éclatait au grand jour. Ce slogan était bien connecté aux enjeux électoraux, alors que « Qui prend pays prend parti » est loin de l’état d’esprit dans lequel se trouve la grande majorité de l’électorat. Mais, disons-le, il répond tout à fait aux attentes de ses sympathisants.
Un curieux rapport avec les conservateurs
Le message du Bloc est plutôt particulier. Si à une certaine époque on aurait cru que le parti était foncièrement anti-conservateur, son attitude semble avoir plutôt changé : si c’est « dans l’intérêt du Québec », il est prêt à faire une alliance avec n’importe quel parti. Duceppe a aussi laissé entendre qu’il serait satisfait d’un gouvernement conservateur minoritaire. C’est un pari électoral plutôt audacieux, considérant que le sentiment électoral des Québécoises et des Québécois semble d’abord et avant tout alimenté par le désir de se débarrasser des conservateurs.
Un désastre pour la souveraineté
La campagne du Bloc vient officialiser la fracture qui existe dans le mouvement souverainiste. Si le chef du Parti québécois Pierre Karl Péladeau dit vrai et qu’il souhaite se lancer dans un processus référendaire, il aura besoin de tous les souverainistes. Sur la scène fédérale, Duceppe avait – ou du moins a déjà eu – le potentiel de réunir toutes les forces indépendantistes. Je me souviens d’ailleurs d’un grand rassemblement de jeunes souverainistes de toutes les tendances : Québec solidaire, le Parti québécois et d’autres groupes de la société civile. C’est dans cet esprit que Duceppe aurait pu revenir au bercail et créer l’espace politique manquant pour un troisième référendum, ou du moins, donner un nouveau souffle à l’indépendance. Avec une attitude « notre parti et rien d’autre » et Pierre Karl Péladeau qui fait campagne pour le Bloc à temps partiel, Duceppe vient de rater sa chance de tirer sa révérence en projetant l’image d’un rassembleur.
Ceci étant dit, le Bloc a depuis plusieurs années un problème politique qui viendrait neutraliser la stratégie de communication la plus ingénieuse. À quoi sert le Bloc outre qu’être un choix temporaire à la conjoncture politique? Alors que Meech et le scandale des commandites sont loin derrière nous, le Bloc n’a jamais réussi à démontrer la nécessité de son existence de façon convaincante.
Si la tendance se maintient, il sera difficile pour le Bloc de faire élire des députés. Ce fut ma réflexion lors de mon choix pour mon pool des élections : j’ai donné plus de députés à Force et démocratie — un seul — qu’au Bloc québécois. Mais bon, je suis aussi du genre à prendre des joueurs des Oilers d’Edmonton dans mon pool de hockey.