Le transport maritime est le moyen de transport le plus commun pour se rendre à Unamen Shipu. Le Bella-Desgagné et son remplaçant, le Relais Nordik, effectuent chaque semaine le chemin entre Rimouski et Blanc-Sablon afin d’approvisionner en marchandises les communautés de la Basse-Côte-Nord et d’assurer le transport de passagers. Néanmoins, le transport maritime s’arrête pendant deux mois chaque hiver. Le transport des denrées alimentaires est alors assuré par voie aérienne.
Les habitants et les habitantes d’Unamen Shipu peuvent toutefois effectuer le trajet jusqu’à Kegaska en motoneige l’hiver et en chaloupe à moteur l’été, où il est possible de rejoindre la route 138. Néanmoins, les cas de noyades sont fréquents en raison des conditions météorologiques changeantes sur le golfe du Saint-Laurent. Une vingtaine de morts ont été enregistrés dans les dernières décennies.
L’insécurité alimentaire et le coût de la vie
L’enjeu le plus important dans l’enclavement de la communauté d’Unamen Shipu est le coût de la vie et l’insécurité alimentaire. « Faire l’épicerie ici l’hiver nous coûte trois fois plus cher qu’en ville. C’est la raison majeure pour laquelle le prolongement de la 138 serait bénéfique pour notre communauté » explique Normand Bellefleur, directeur général du conseil de bande d’Unamen shipu.
En plus d’avoir un coût élevé, les produits frais arrivent souvent en mauvais état et la gamme de produits n’est pas très variée. « C’est pas pour rien que les gens ne s’alimentent pas toujours bien ici et ne mangent que des produits congelés. L’hiver on manque de pain, d’oeufs pis tout ça. Ce n’est pas très drôle, disons » raconte Cyril Mark, natif de la communauté, mais qui a décidé de quitter il y a quatre ans afin de trouver du travail. « C’est pour ça que je voudrais que la route se rende, pour que la nourriture arrive en camion et pas par bateau. Ça nous coûterait moins cher et on pourrait avoir des produits frais » poursuit-il.
Des promesses de développement économique
L’arrivée de la 138 amène son lot d’espoir au niveau du développement économique. « À l’heure actuelle il est très difficile pour nous de faire du développement économique dans la communauté à cause de notre isolement et des coûts de transport. Par exemple, depuis quelques années, on a de la difficulté à faire venir des gens dans notre pourvoirie parce que les prix de transport sont très élevés » explique à nouveau le directeur général du conseil de bande
Il existe peu d’emplois à Unamen Shipu, ce qui amplifie les problèmes sociaux de la communauté. La venue de la route permettrait selon certains d’élargir les horizons des membres de la communauté : « J’ai quitté la communauté il y a quatre ans afin de trouver de l’ouvrage. Ici il n’y a rien. Les jeunes ont rien à faire alors ils sombrent dans la drogue et l’alcool. Tout ce qu’il y a ici c’est le bien-être social » dit Cyril Mark.
Le désenclavement comme catalyseur des problèmes sociaux?
La venue de la route 138 crée néanmoins des inquiétudes, surtout au niveau social. « C’est sûr que la circulation de la drogue va augmenter si la route rejoint la communauté. La drogue entre déjà, mais on s’attend à ce que ça empire. C’est l’aspect négatif majeur au désenclavement de la communauté » soutient Normand Bellefleur. « Déjà, nos jeunes ne vont pas beaucoup à l’école parce qu’ils consomment de la drogue et de l’alcool. S’il y a la route, je pense qu’il y aura plus d’absence à l’école » se désole une dame de la communauté qui a désiré rester anonyme.
Plusieurs s’inquiètent également de la nouvelle mobilité qu’auront les jeunes après la venue de la route : « Il y a beaucoup de jeunes qui vont s’en aller rester en ville. Ils vont partir sur le pouce et on ne saura pas où ils vont partir. On ne les reverra plus » explique la même dame. « Moi je suis pour la venue de la route, mais quand nos petits enfants vont partir le soir et qu’on ne saura pas quand ils vont revenir, c’est sûr que ça va nous inquiéter », explique également Henriette Mark-Malec, une autre dame de la communauté.
La 138 et la culture innue
L’insécurité alimentaire et l’abondance de la ressource faunique auront fait en sorte que les Innus d’Unamen Shipu pratiquent encore, avec quelques adaptations, le mode de vie que leur ont légué leurs aînés : « La nourriture que le bateau nous amène n’est jamais fraîche. C’est pour ça qu’on mange beaucoup de nourriture du bois. Le saumon, le porc-épic, le caribou, le castor, le homard, etc. Chaque saison, il y a un animal qui est bon à manger » assure Cyril Mark.
Par contre, la venue de la route 138 créera un stress sur la faune difficile à calculer : « Je pense que ça va tuer toutes les espèces qui vivent dans le bois. Les aînés trouvent que ce n’est pas une bonne idée que la route vienne ici » raconte Enrico Napess, un jeune de la communauté. « Depuis qu’on a des autos et des 4 roues les gens ne bougent plus. Les problèmes de santé augmentent dans la communauté. S’il y a la route, ça va être pire. Quand il va y avoir la route, tous ceux qui chassent et qui pêchent vont arrêter d’y aller pour aller en ville à la place » s’inquiète la même dame qui, qui a désiré conserver l’anonymat.
Si plusieurs s’inquiètent pour les activités de chasse et de pêche, la plupart restent confiants quant à la pratique de la langue innue au sein de la communauté. « Ici, 95 % des gens parlent innu à la maison. Même qu’il y a encore plusieurs aînés qui ne parlent pas du tout le français. À ce niveau-là, on est pas trop inquiet, on a confiance que les gens vont continuer de se parler en innu » explique Normand Bellefleur.
Une suite incertaine
Le prolongement de la route 138 a fait l’objet de plusieurs promesses de la part de la classe politique au cours des dernières décennies. Le projet aurait dû aboutir sous le règne du gouvernement Charest, mais le regroupement responsable du projet, Patakan Meskanau de la Grande Séduction, formé de communautés autochtones et non autochtones de la basse Côte-Nord, a fait faillite avant de voir le projet se concrétiser. La 138 a donc été rallongée de 12 km, sans que le nouveau tronçon débouche quelque part.
Aujourd’hui, tous s’entendent pour dire qu’une poursuite imminente des travaux n’est pas à l’agenda. La faillite du regroupement Patakan Meskanau, les coûts exorbitants des travaux de prolongement et l’absence de projet économique viable en Basse-Côte-Nord rendent le projet peu attrayant pour le gouvernement. Cependant, la volonté d’Hydro-Québec d’aller de l’avant avec le projet hydroélectrique de la rivière Petit-Mécatina pourrait changer la donne. Reste à savoir ce que les Innus d’Unamen Shipu décideront.