À cadence de 30 km par jour le long de l’autoroute transcanadienne, les femmes, hommes, aînés et jeunes Anishinaabe portent un message d’unité autour de la protection de l’eau pour les générations futures – un seau de cuivre contenant de l’eau de différents rivières, ruisseaux et lacs du territoire les accompagne, transporté par une femme ouvrant le pas au groupe. D’un pow-wow à l’autre – d’Eagle Lake dans le nord de l’Ontario à l’arrivée à Shoal Lake à quelques kilomètres de Winnipeg – les marcheurs sensibilisent les communautés sur le passage de l’oléoduc et honorent les cours d’eau traversés qui seraient menacés par Énergie Est.

Si la démarche est sacrée, elle est fermement ancrée dans la revendication des droits autochtones. « L’eau est l’essence même de la vie », explique Fawn Wapioke, Chef de Shoal Lake 39 et mère de famille qui effectue la marche en entier avec ses enfants. « Nos lois et nos valeurs Anishinaabe nous guident dans notre compréhension du projet Énergie Est. C’est pourquoi nous disons non au projet », ajoute-elle.

L’oléoduc de TransCanada acheminerait 1,1 million de barils par jour de pétrole issu des sables bitumineux jusqu’à un terminal d’exportation au Nouveau Brunswick. Sur cette portion du tracé à la frontière entre l’Ontario et le Manitoba, il s’agit de convertir un ancien gazoduc de 43 ans en oléoduc. Les craintes sont élevées concernant les dangers portés à l’eau – plus tôt cet été, un rapport avait fait état des hauts risques en cas de rupture, notamment pour les terres agricoles et pour l’eau potable de la ville de Winnipeg, dont l’approvisionnement provient du lac Shoal.

Le respect des traités au cœur de l’opposition à l’oléoduc

L’accès à l’eau est ici profondément une question de justice environnementale. Dans un contexte qui rappelle la constante violation des traités signés par la couronne avec les Anishinaabe, il faut savoir que la Première Nation Shoal Lake 40 – où Winnipeg puise l’eau potable permettant à la capitale du Manitoba de jouir d’un approvisionnement de qualité – fait face à un avis d’ébullition de l’eau depuis 17 ans. Non seulement Shoal Lake 40 a été inondée il y a un siècle pour pouvoir construire l’aqueduc, mais aujourd’hui elle demeure coupée du reste de la province alors qu’Ottawa refuse de faire sa part pour construire une route de 23 km nommée la « Freedom Road ». Grassy Narrows, pour sa part, fait face à un grandissant taux de contamination au mercure de l’eau de son territoire, avec de sévères conséquences pour la santé et la pêche locale. Dans ces conditions déjà inacceptables, on peut comprendre qu’un projet tel qu’Énergie Est ajoute l’insulte à l’injure.

La région du Traité no 3 est importante pour décider de l’avenir du projet Énergie Est. À peine quelques jours avant le début de la marche, TransCanada a signé une entente d’engagement de plus de 700 000 $ avec le Grand Conseil du Traité no 3, qui inclut une clause empêchant le Grand Conseil d’appuyer quiconque proteste contre le projet. Il est cependant rappelé que l’entente ne constitue pas une acceptation du projet et qu’en aucun pas elle ne peut se substituer à un réel processus de consultation avec les 21 Premières Nations représentées par le Grand Conseil du Traité no 3 – une démarche qui revient au gouvernement fédéral du Canada.

Un projet qui cherche à voir le jour

Depuis qu’il a été proposé, le projet d’oléoduc Énergie Est de TransCanada n’a cessé de faire face à des embuches. Présentement à l’examen par l’Office national de l’énergie (ONÉ), le projet a vu dans les derniers mois surgir une opposition de plus en plus forte tout le long du tracé. L’opposition grandissante, qui s’est manifestée dans les derniers mois notamment à Cacouna au Québec et à Saint John au Nouveau Brunswick, a entrainé des délais considérables et une augmentation importante des coûts du projet qui tarde à recevoir l’acceptation sociale que TransCanada souhaiterait tellement obtenir.

Outre les dangers posés aux cours d’eau, Énergie Est engendrerait l’augmentation de la production des sables bitumineux en Alberta, contribuant ainsi de façon majeure aux changements climatiques et continuant la dévastation des territoires Autochtones qui se trouvent aux premières lignes des désastres écologiques. Le déversement de 5 millions de litres du mois dernier près de Fort McMurray en offre un douloureux rappel.

À l’heure où les élections fédérales débutent, il est temps pour tous les partis au Canada d’écouter ce que les marcheurs Anishinaabe ont à dire et de prendre une position claire sur Énergie Est – un oléoduc qui traverse 180 Premières Nations dans le pays.

Par la force, résilience et détermination de ces personnes qui parcourent en ce moment même le territoire afin de protéger notre plus précieuse ressource, cette marche Anishinaabe nous montre la voie à suivre : un refus ferme de l’oléoduc pour faire place à de nouvelles relations, qui commencent avec une réelle volonté de faire respecter les traités et les droits autochtones au Canada.