Chargé de promouvoir et de protéger les droits de la personne dans le monde, le comité fait ainsi écho aux préoccupations de groupes qui décrient les atteintes aux libertés fondamentales perpétrées par le gouvernement du Canada dans la dernière décennie.
Lutte au terrorisme ou chasse aux dissidents?
Lors de son précédent examen, en 2005, le comité invitait le Canada à «adopter une définition plus précise des infractions de terrorisme de façon à ne pas cibler des individus pour des motifs politiques, religieux ou idéologiques, dans le cadre des mesures de prévention, d’enquête et de détention».
Avec l’adoption du projet de loi C-51, le gouvernement Harper a pris la direction inverse. «L’élargissement de la définition des activités qui portent atteinte à la sécurité du Canada [et plusieurs autres dispositions de la nouvelle loi antiterroriste] pavent la voie aux abus et au profilage discriminatoire», déclarait récemment la coordinatrice nationale de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles (CSILC), Monia Mazigh.
Lors de la publication d’un rapport sur les atteintes au droit de manifester au Québec en juin, la coordonnatrice de la Ligue des droits et libertés, Nicole Fillion, disait s’inquiéter de la portée de certaines dispositions de C-51 qui «érigent en système» la surveillance, encouragent l’infiltration des groupes dissidents et assurent l’impunité des agents de renseignement, même en cas de violations de droits protégés par les chartes.
L’organisme Journalistes canadiens pour la liberté d’expression et l’Association canadienne des libertés civiles ont d’ailleurs déposé une première contestation constitutionnelle de la nouvelle loi antiterroriste qui suscite l’inquiétude du Comité des droits de l’homme de l’ONU.
Usage excessif de la force et impunité policière
Dans ses observations finales, rendues publiques le 24 juillet au terme du sixième examen périodique du Canada en matière de droits civils et politiques,le comité condamne également le Canada pour ses pratiques policières répressives et pour l’inefficacité des mécanismes de surveillance et d’imputabilité des corps policiers.
En 2005, le comité rappelait déjà l’obligation pour le Canada de veiller «à ce que le droit de chacun de participer pacifiquement à des manifestations de protestation sociale soit respecté et à ce que seuls ceux qui ont commis des infractions pénales au cours des manifestations soient arrêtés». Il invitait également le gouvernement à enquêter sur les pratiques d’arrestations massives survenues à Montréal pendant des manifestations.
Dix ans plus tard, le comité se dit «préoccupé par les allégations faisant état d’un usage excessif de la force par la police lors d’arrestations de masse dans le contexte de manifestations», notamment lors du G20 de 2010 à Toronto, durant le printemps 2012 au Québec ou lors de manifestations autochtones de défense du territoire comme celles d’Elsipogtog, à l’automne 2013.
Bien que de tels abus aient été abondamment documentés, le gouvernement tente de minimiser l’ampleur du problème. «Le Canada reconnaît qu’il arrive parfois, en raison des circonstances entourant une manifestation, que les opinions diffèrent quant à la question de savoir si l’équilibre approprié a été atteint entre la liberté de manifester pacifiquement et la sécurité du public», peut-on lire dans le rapport périodique présenté par le gouvernement fédéral au Comité des droits de l’homme le 9 avril 2013. «Lorsque c’est le cas, divers mécanismes internes obligent le gouvernement et les services de police à rendre des comptes, notamment des recours judiciaires prévus par la Charte ainsi que des mécanismes non judiciaires», indique-t-on également dans le rapport.
Le Comité déplore cependant le «manque de données statistiques sur toutes les plaintes, enquêtes, condamnations et sanctions imposées aux officiers de police» à la suite d’incidents survenus lors de manifestations. Le comité rappelle au Canada sa responsabilité de «veiller à ce que toutes les allégations de mauvais traitements et d’utilisation excessive de la force par la police fassent l’objet d’enquêtes rapides et impartiales […], et à ce que les responsables de telles violations soient jugés, punis et dûment sanctionnés».
Si les mécanismes de reddition de compte de la police envers le public s’avèrent défaillants, c’est notamment en raison du manque de transparence des enquêtes. «Lorsqu’il y va de la confiance du public envers la police, il est impératif que le processus d’enquête soit transparent, et aussi qu’il ait toutes les apparences de la transparence», confirmait en 2013 la Cour suprême du Canada dans une cause opposant l’Unité des enquêtes spéciales de l’Ontario à la Police provinciale de l’Ontario.
Certaines dispositions du projet de règlement balisant le fonctionnement du Bureau des enquêtes indépendantes du Québec sont contestées par l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec (APPQ), bien qu’elles découlent du jugement de la Cour suprême de 2013. Ces dispositions visent pourtant à mettre un frein à des pratiques d’obstruction systématique des policiers aux enquêtes qui ont retardé de plusieurs années des enquêtes publiques comme celles entourant les morts suspectes d’Anas Bennis et de Fredy Villanueva à Montréal.
Il aura également fallu plus de trois ans pour que la Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec accepte d’intenter une première poursuite pour profilage politique contre la police de Québec.
Malgré l’accumulation de preuves de surveillance policière fondée sur l’appartenance à des courants politiques, les trois paliers de gouvernement continuent de nier l’existence d’un système de profilage politique au Canada. De son côté, la Ligue des droits et libertés déplore que la police continue «de réprimer les mouvements de contestation sociale et politique qui dérangent» et dénonce la complaisance de la classe politique et des médias face à cette dérive autoritaire que même l’ONU constate maintenant depuis une décennie au Canada.