Malgré les opinions souvent confuses et quelquefois contradictoires de la gauche sur la question dite « de la violence », ces images de vandalisme au sein de nos institutions d’enseignement violèrent nos notions naturelles de proportion, de symétrie et de salubrité, et savent encore heureusement produire en nous un sentiment instinctif d’horreur. Notre manque comparatif d’empathie envers des étudiant-e-s minimalement tout aussi reprimé-e-s que ne le furent chaises, fenêtres et distributrices, par contre, et ce même avant l’acte barbare, sembla plus difficilement expliquable et n’a toujours pas été proprement élucidé.

Mon objectif est de rendre pleinement intelligible cette empathie différentiée par une brève analyse comparative des avantages et des inconvénients de la distributrice et de l’étudiant qui démontrera hors de tout doute que nos intuitions en cette affaire sont bel et bien conformes à la justice.

La distributrice est fiable

Pas de mauvaises surprises avec une distributrice. Pour un prix établi rigoureusement par les lois du marché et clairement indiqué sur une surface de surcroit lumineuse, on se procurera sans faille un bien qui correspondra exactement à notre intention initiale, du moins si ce n’est pas la première fois que nous utilisons une distributrice et que nous ne sommes pas ignorants des trésors qu’elle recèle. Certes des problèmes techniques peuvent se produire à l’occasion, personne n’est parfait, mais même sur ce point la distributrice se compare avantageusement à bien d’autres technologies qui devraient pourtant être fiables; pensons seulement aux escaliers mécaniques.

L’étudiant est chaotique

C’est bien connu, on ne peut jamais prédire ce qu’un étudiant fera. De minute en minute, il peut étudier paisiblement, se promener masqué en hurlant des slogans, chatter avec une amie sur son iPhone en sirotant une sangria sur une terrasse, détruire des objets sans raison. Les scientifiques ne s’entendent aucunement sur ce qui explique l’extrême volatilité de son comportement, certains optant pour des causes physiologiques (manque de lumière naturelle, débalancement des humeurs affectant la glande pinéale, irritation due à une hygiène discutable) alors que d’autres privilégient les facteurs sociaux (musique punk, Grand Theft Auto V, absence d’une saine autorité paternelle, manque d’appréciation de la société envers le travail policier, dérives du féminisme). Comme si cela n’était pas assez regrettable, son caractère continue de se modifier au gré des évènements, et l’étudiant que l’on a presque appris à connaitre hier pourrait fort bien s’avérer différent le lendemain. Comment penser pouvoir transiger dans la durée avec des êtres d’une telle volatilité? Dieu merci, cette condition semble usuellement se résorber peu après l’entrée dans la vie productive, mais d’ici là, si on souhaite à tout prix vivre dangereusement, on préfèrera de loin la proximité d’un porc-épic épileptique.

La distributrice produit de la valeur

Tentez un instant d’imaginer un monde sans distributrice. Toute personne souhaitant se procurer, par exemple, un breuvage gazéifié et sucré se trouverait minimalement dans l’obligation de se déplacer vers un lieu de commerce afin de combler ce besoin pressant, ce qui pourrait aussi impliquer d’autres désagréments comme s’habiller et sortir à l’extérieur (même l’hiver!). Dans le pire des scénarios, cette personne pourrait même se voire forcée de gazéifier l’eau par elle-même avant d’y ajouter un sirop sucré maison à base d’ingrédients spécifiquement calibrés pour en maximiser le goût. Comme si nous avions tous étudié la chimie des boissons! Soyons sérieux! La civilisation, jugeant bienveillamment qu’épancher une soif impérative d’eau gazéifiée et sucrée ne peut se faire à tel prix, fit en sorte que nous puissions rencontrer au hasard de nos périples ces oasis artificiels où, à un prix fort raisonnable et sans aucun effort, nous pouvons combler ce besoin fondamental. Ceci est indiscutablement juste, bon et nécessaire, et quiconque se dresse irrationnellement face à un arrangement si profitable mérite sans aucun doute l’électrocution.

L’étudiant est un fardeau

Ne payant pas de taxes et d’impôts, ou si peu, l’étudiant est un parasite vivant au dépend de parents et d’une société qu’en général il méprise. Il n’est pas impossible d’envisager la possibilité qu’il repaie éventuellement en partie cette dette, mais l’étudiant fait souvent tout ce qui est en son pouvoir pour éviter cette possibilité, par exemple en étudiant des choses inutiles ou en gaspillant son temps dans des activités improductives comme réfléchir, « vedger » dans un parc avec des ami-e-s, s’amuser outre le minimum requis pour pouvoir mieux travailler après, ou contester un « système » qui, quoiqu’on en dise, a quand même tenu le coup jusqu’à maintenant. S’il lui venait l’idée de consommer, ce sera probablement de la drogue, qui ne rapporte aucune taxe à l’État et augmente à terme le fardeau fiscal du système de santé. De surcroit, qu’a-il réalisé pour mériter de consommer ainsi? Dans ces conditions, l’étudiant devrait nous remercier de tolérer son existence.

La distributrice exige peu

Tel Bouddha sous son arbre, la distributrice trône dans l’espace qui lui est réservé, sans désir aucun, bien qu’on puisse métaphoriquement lui attribuer une volonté absolue de combler les besoins de ses utilisateurs potentiels. Elle n’impose à son environnement immédiat que le léger ronronnement de son climatiseur et une consommation de plus en plus raisonnable d’électricité, résultante d’avancées technologiques majeures. Quand vient l’heure de son trépas, elle est, pour l’essentiel, recyclable. Si elle n’est pas effectivement recyclée, on ne va quand même pas mettre ça sur son dos!

L’étudiant demande tout et n’importe quoi

Constitutivement insatisfait et insatisfaisable, l’étudiant qui s’exprime ne peut qu’émettre, généralement en hurlant, un ensemble éparse de revendications contradictoires, quand elles ne sont pas totalement inintelligibles. Dans un espace public où il s’exprime de manière totalement disproportionnée à son statut, sans aucune considération pour les autres groupes qui auraient au moins autant le droit de se plaindre s’il y avait réellement de quoi se plaindre, sans même laisser le moindre hiatus où pourrait s’immiscer la quiétude pourtant si apaisante de l’aptement nommée « majorité silencieuse », qui ont après tout eux aussi le droit de s’exprimer, même silencieusement, l’étudiant passe sans respirer d’exigences simples mais corporatistes à des demandes loufoques d’utopisme exigées au nom d’un « nous » dont ils ne sont, doit-on le rappeler, qu’une partie insignifiante. Et si contre toute attente rationnelle nous faisions néanmoins l’effort de les comprendre, que nous dirons-t’ils ensuite? « Fuck toute. » Répondez honnêtement: avez-vous déjà vu une distributrice faire preuve d’une telle impertinence?

De grâce, réfléchissez à ces choses la prochaine fois que l’on verse des larmes sur le sort des jeunes ou qu’on s’indigne contre l’adoption d’une saine règlementation visant à baliser leur comportement. De telles opinions, aussi bien intentionnées soient-elles, sont radicalement aliénées de la sagesse populaire : avant de chercher à s’exprimer, la jeunesse, arriviste par définition, devrait prendre le temps de comprendre comment les choses fonctionnent, de préférence par l’intermédiaire d’un stage en entreprise. Elle devrait surtout foutre un peu patience à ceux et à celles qui ont tant donné pour faire du Québec un endroit si juste et si prospère.