La première concerne la négligence de la compagnie dans sa gestion des sédiments, qui a provoqué le déversement de boue dans le río Quema. Les inspecteurs de l’ANAM ont détecté 6 fautes sur le terrain, incluant une érosion très marquée par endroits et un bassin de sédimentation non vidé, conditions qui pourraient amener le même type d’évènements que celui connu par le passé.
Dans un rapport paru en janvier, SGS, une firme indépendante mandatée par l’ANAM, a de son côté relevé 11 fautes lors de sa visite du site. Là encore, on parle notamment d’érosion, mais aussi de produits chimiques laissés sur place après avoir servi pour l’exploration.
La seconde dénonciation, à propos des forages illégaux, est encore à l’étude. « L’ANAM m’a dit que s’il est vérifié que les permis ont été attribués après les travaux d’exploration, les deux fonctionnaires qui ont signé seront renvoyés, et Pershimco aura droit à une amende et une suspension », raconte Canzio Ciacci, qui ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et prépare maintenant une plainte auprès du ministère public, organe chargé de s’assurer du respect des lois.
Malgré nos nombreuses demandes auprès de Pershimco Resources, nous n’avons pu parler à son président, Alain Bureau.
Le spectre de Petaquilla
MM. Pérez et Ciacci assurent qu’il ne s’agit pas d’une vengeance personnelle de leur part. Ils martèlent qu’ils sont en faveur de l’exploitation minière, source d’emplois de qualité dans cette région aride où les paysans se déplacent encore à cheval. Ce qu’ils demandent, c’est une administration responsable et transparente.
L’histoire d’une autre mine d’or panaméenne exploitée par des Canadiens hante leur esprit. Il s’agit de Petaquilla Gold, dans la province de Coclé au centre du pays. Là aussi, on annonçait un gisement extraordinaire, 20 années d’exploitation… Las, 4 ans plus tard, en novembre 2013, la mine était laissée à l’abandon. La valeur des salaires impayés est estimée à 3,5 millions de dollars. « Ils ont laissé un problème environnemental mais aussi un problème social, note Canzio Ciacci. Des travailleurs qui s’étaient endettés en achetant une maison, pensant avoir du travail pour 20 ans, ont dû retourner jouer du machete dans les champs pour quelques dollars de l’heure. » Malgré cela, deux cadres de Petaquilla ont été embauchés par Pershimco: le vice-président Octavio Choy, et le géologue en chef, l’Australien John Kapetas.
Pour Daviken Studnicki-Gizbert, professeur associé de l’Université McGill et coordonateur du MICLA, un groupe de recherche sur les compagnies minières en Amérique Latine, « ce qui s’est passé à Petaquilla est un petit mystère pour tout le monde. » D’après lui, là non plus les promesses d’emplois locaux n’ont pas été respectées, et des Philippins ont remplacé les Panaméens. Le réservoir de cyanure débordait durant la saison des pluies: « Le déversement de boue à Cerro Quema, ce n’est rien du tout par rapport à ce qui s’est passé à Petaquilla. Là-bas, on en est au sixième incident de cyanure dans les rivières. Les gens ont vu des poissons le ventre à l’air, des crocodiles morts. Mais le cyanure est quasiment indétectable, car il disparait très vite. »
Le gouvernement panaméen a donné un ultimatum à Petaquilla Gold: si les dettes ne sont pas payées d’ici juillet prochain, la concession lui sera retirée. La compagnie affirme être en mesure de reprendre ses opérations dans les délais fixés, après avoir reçu une fiducie de 25 millions de dollars d’un fonds d’investissement panaméen.
Alors, mine ou pas mine?
Attablé à un café de La Villa de Los Santos, Milcíades Pinzón parle avec son ton posé de professeur de sociologie de l’Université du Panama. Il n’en a pas l’air, mais il est un des plus féroces opposants à la mine, membre actif du Frente santeño contra la minería, qui refuse en bloc l’exploitation d’or. Pour des raisons environnementales, d’abord: « La mine est située dans la zone la plus déforestée (sic) du pays, où il ne reste plus que 6% de forêts et où naissent les principales rivières de la région. » Mais aussi parce que M. Pinzón non plus ne fait pas confiance à Pershimco: « La mine s’est vendue à peu près 5 fois, ils ont déjà gagné beaucoup d’argent à la Bourse. Pourquoi, si la mine possède ce qu’ils disent, le projet Cerro Quema existe depuis 20 ans mais ne démarre pas? Qui sont les actionnaires? Apparemment des gens de la classe moyenne canadienne. J’ai l’impression qu’ils vont être victimes d’une arnaque majeure. »
Pourtant, dans le monde des juniors canadiennes, il est commun que les dates de concession précèdent de 20 ans celles d’exploitation, et qu’un projet fasse l’objet de reventes en cascade. « Pershimco est une très petite junior qui n’a pas d’argent en ce moment, explique Daviken Studnicki-Gizbert. Ça devait être une minuscule mine mais, si les derniers résultats qu’ils donnent sont vrais, ce sera un très très gros projet. Une compagnie beaucoup plus importante serait intéressée à acheter Cerro Quema. »
Sur son site Internet, Pershimco multiplie d’ailleurs les communiqués parlant d’un « gisement d’or de classe mondiale » et annonçant le début de l’extraction en 2016. Ces nouvelles rendent Basilio Pérez cynique: « Tous les ans depuis 2008, ils disent que l’exploitation commencera l’année suivante… » Trois de ses anciens partenaires de travail, venus dans son jardin pour échapper à la chaleur de l’après-midi devant une Atlas, une bière locale, n’y croient pas non plus: la mine est à l’arrêt, selon eux. Ils ont été mis à pied, comme la plupart des travailleurs.
Les communiqués de Pershimco se veulent pourtant rassurants: l’étude d’impact qui précède le lancement de l’exploitation est étudié par l’ANAM – malgré l’annulation, à la mi-avril, d’une audience publique pour non-respect des règles de publication dans les médias locaux. Il va donc encore y avoir de l’action au pied du Cerro Quema, nom qu’en français, on pourrait traduire par « la colline qui brûle ».