À l’ombre de son préau de bois et de tôle, dans une nature luxuriante au bord du río Quema, Basilio Pérez semble avoir la vie rêvée. Seul problème : M. Pérez ne s’entend pas avec sa voisine, qui a tendance à prendre beaucoup de place. En effet, juste au-dessus de chez lui s’étendent les 15 000 hectares de la concession de la mine d’or Cerro Quema, propriété de Pershimco ressources, une junior québécoise basée à Rouyn-Noranda. La compagnie abitibienne explore ce qui pourrait devenir dès 2016 une immense exploitation à ciel ouvert.

Basilio Pérez a entretenu une longue relation avec cette voisine : il en a été le directeur environnemental pendant plus de 4 ans, jusqu’à son renvoi en août 2013, « parce que je remettais en question les choses qui se faisaient ». Depuis, cet ancien pro-mine a rejoint le groupe des opposants à Pershimco, nombreux dans la province de Los Santos, la plus méridionale du Panama, où un soleil de plomb fait jaunir les champs accrochés aux collines. Il parle de son expérience avec amertume: « Je me sens trahi parce que ce qui a été promis aux gens n’a pas été accompli. Il y avait un pacte avec la communauté: la mine devait embaucher du monde d’ici. Mais quand Octavio Choy [vice-président Amérique Latine de Pershimco] est arrivé en 2012, il a remplacé les employés par des étrangers.» Des Péruviens, des Équatoriens, des Australiens, des Philippins sont alors arrivés dans la péninsule d’Azuero.

Exploration à la va-vite

Le cheval de bataille de M. Pérez, c’est désormais de faire reconnaître les errements de la mine en matière environnementale, notamment dans l’aménagement des murs de contention censés piéger les sédiments sur les ruisseaux qui drainent la concession. Leur entretien a été défaillant, leurs bassins de rétention jamais vidés ou presque. De plus, de nouvelles plateformes de forage ont été aménagées à leur amont. Alors que les règlements environnementaux prévoient que la terre déplacée lors de ces opérations doit être transportée par camion vers un site d’entreposage, les pelleteuses de la compagnie l’ont simplement poussée vers le bas, à la proie des précipitations. Cet apport de sédiments rendait les murs trop petits…

L’urgence de la situation a été découverte en février 2013, à l’approche de la saison des pluies, et le rehaussement des murs a été lancé. Trop tard: au mois de juillet, la boue est passée par-dessus trois de ces barrières et a dévalé jusqu’au río Quema, dont les flots ont été bruns pendant 3 jours. Une catastrophe dans une région où les paysans aspirent l’eau de la rivière avec des pompes de fortune fonctionnant à l’essence. Mais pour M. Pérez, cet épisode n’est que l’arbre qui cache la forêt, celle de la lente dégradation de l’écosystème: « J’ai pris des photos du río Quema depuis 2008: la pierre a changé. Avant, il y avait des écrevisses; il n’y en a plus. »

Forer d’abord, demander la permission ensuite

Pour Canzio Ciacci, qui a lui aussi a été renvoyé de la mine pour divergence de point de vue avec le vice-président Octavio Choy, l’équation est simple: « Pershimco agit au plus pressé pour aller chercher des chiffres au fond des puits, pour lever des investissements à la bourse de Toronto. » Directeur de sécurité de la mine de juin 2012 à septembre 2013, M. Ciacci a participé à l’organisation de la campagne d’exploration des Cerros (collines) Idaida et La Pelona, situés à l’est de la concession. Une exploration qui s’est faite sans les nécessaires permis délivrés par l’ANAM, le ministère panaméen de l’environnement. En février 2013, Pershimco a fait connaître par voie de communiqué les résultats de la campagne du Cerro Idaida. Or, le permis de forage, dont nous avons obtenu une copie auprès de l’ANAM, a été délivré 10 mois après les travaux, le 20 novembre 2013. Il donne droit à 7 forages quand, sur une carte provenant du service de géologie de Pershimco qui nous a été fournie par un autre ex-employé, on compte 11 puits autour du Cerro Idaida.

Plus troublant encore, ce permis a été accordé 5 jours (incluant une fin de semaine) après le dépôt de l’étude d’impact, document essentiel pour l’acquisition du précieux sésame. « Comment peut-on, tonne Canzio Ciacci, se rendre sur le terrain et faire toutes les vérifications en aussi peu de temps? Il y a eu corruption de fonctionnaires, c’est certain! »

La seule chose qui est sûre, c’est que Pershimco a déjà eu recours à des arrangements à l’amiable pour arriver à ses fins. Liberato González, un paysan de Las Tablas, gros village qui fait office de capitale de la province de Los Santos, en a profité. Ce vieil homme qui ponctue ses phrases d’un rire sonore possède un terrain près du Cerro La Pelona, dont s’occupe un peón (ouvrier agricole). « En février 2013, mon peón m’appelle pour me dire que des machines roulent vers ma propriété, raconte M. González. Je lui dis de mettre un cadenas sur la barrière. Un employé de la compagnie que je n’avais jamais vu vient ici et me propose 100$ par mois pour traverser mes terres. Qu’est-ce que je fais, moi, avec 100$?»

Quelques semaines plus tard, un accord est trouvé pour une somme 30 fois supérieure. Un chemin est aménagé chez M. González et les foreuses travaillent au Cerro La Pelona de mars à juillet 2013. Le permis, lui, est délivré par l’ANAM le 28 mai 2014. Deux jours après le dépôt de l’étude d’impact, et signé par les deux mêmes fonctionnaires.