Il y a quelques semaines, alors que les négociations s’enlisaient entre la Grèce et ses « partenaires », un éditorial d’un quotidien allemand posait la question suivante : « Alexis Tsipras et Yanis Varoufakis sont-ils présentement les deux meilleurs politiciens d’Europe? ». Difficile de répondre à une interrogation aussi vaste, mais l’habileté exceptionnelle des dirigeants grecs ne fait dorénavant aucun doute. S’il est trop tôt pour prédire les conséquences du vote historique de dimanche en Grèce, on peut tout de même affirmer sans gêne que les Grecs sont massivement derrière leur gouvernement.
Ce résultat place en effet les « partenaires » européens dans une position bien délicate. Poursuivre avec la ligne dure face aux négociateurs grecs constituerait une négation pure et simple de la volonté du peuple hellène. Déjà en déficit de légitimité dans cette affaire, l’Europe pourra-t-elle se le permettre? On le voit bien : avec cette victoire, Tsipras rebrasse les cartes. Désormais, la discussion se fera à son rythme et à propos de ses thèmes, principalement celui d’un allègement de la dette de son pays. La pression est désormais sur la troïka. Pour la première fois en plus de cinq ans, la Grèce est en position de force autour de la table de négociation. Pour un pays qui frôle la faillite, ce n’est pas rien. « Il faut miser gros pour gagner gros » disent les joueurs de poker. Alexis Tsipras ne bluffait pas et aujourd’hui, ce sont les « partenaires » de la troïka qui se demandent comment ils ont pu ainsi perdre la face.
Dans les derniers jours de la campagne, les attaques contre le parti au pouvoir en Grèce avaient atteint un sommet. Affichant un mépris des plus complets pour la démocratie et de la souveraineté grecques, le président du Parlement européen, Martin Shultz, avait ainsi prédit une victoire du OUI et exprimé son souhait que cela signifie « la fin de l’ère Syriza » et l’avènement d’un « gouvernement de technocrates ». Dans une entrevue accordée à un quotidien économique allemand, Shultz a témoigné ouvertement son aversion à l’égard du gouvernement légitimement élu en Grèce : « Alexis Tsipras est imprévisible et manipule les gens en Grèce, cela a presque un caractère démagogique. (…) Ma confiance dans la volonté de négocier du gouvernement grec a atteint à l’heure actuelle un plus bas absolu ».
L’objectif de ces attaques était évident : miner la légitimité du gouvernement de gauche, alimenter l’opposition de droite et créer assez d’instabilité politique pour provoquer un changement de garde à la tête de l’État grec. De toute évidence, les Grecs n’ont pas apprécié une telle ingérence dans leurs affaires.
Ainsi, il est indéniable que ce refus massif du plan d’austérité proposé par les « institutions » européennes constitue également un vote de confiance envers le gouvernement Tsipras. La plupart des observateurs s’entendaient pour dire qu’une victoire du OUI aurait probablement entraîné la chute du gouvernement Tsipras. De plus en plus de leaders européens le souhaitaient d’ailleurs ouvertement. Ce scénario ne se produira pas. Avec la victoire du NON, le gouvernement de Syriza est plus solide et légitime que jamais. Qui, maintenant, osera parler d’un gouvernement « marginal », « populiste » ou « amateur »?
Parallèlement, l’opposition à Syriza ressort affaiblie de ce référendum. L’ancien premier ministre de droite, Antonis Samaras, qui s’était récemment rendu à Bruxelles et qui prêchait, de concert avec certains dirigeants européens, pour un gouvernement « d’unité nationale », a démissionné de ses fonctions suite à l’annonce des résultats de la consultation de dimanche. Les travaux d’Alexis Tsipras ne sont pas terminés, bien au contraire, mais avec ce triomphe référendaire, il vient bel et bien de solidifier ses positions, à la fois face à l’Europe et ses adversaires domestiques.
Des semaines décisives pour la Grèce et l’Europe
En emportant leur référendum, Alexis Tsipras et Syriza ont gagné une manche importante. Mais la partie est loin d’être terminée et, pour tout dire, les vraies épreuves commencent à peine. On sait que l’objectif de Syriza était de se servir de sa légitimité renouvelée pour ramener sur la table la question d’un allègement, ou d’un réaménagement, de la dette grecque. Avec ou sans Yanis Varoufakis, cela restera la priorité de négociateurs grecs. Au moment d’écrire ces lignes, on confirmait la tenue d’un sommet d’urgence mardi afin d’en arriver à une entente avec la Grèce. On sait donc avec quel type de proposition la délégation de Syriza s’y présentera.
De l’autre côté de la table, on sait depuis quelques temps déjà que Christine Lagarde et le FMI reconnaissent le caractère insoutenable de la dette grecque. Ils sont ouverts à discuter de son réaménagement. C’est plutôt du côté de l’Allemagne que le bât blesse. Angela Merkel subit la pression d’une opinion publique allemande ayant largement intégré le discours anti-Grèce. Impossible pour elle de consentir à un allègement de la dette grecque. À la lueur des résultats de dimanche, pourra-t-elle maintenir cette position? Si elle le fait, la première économie d’Europe devra porter la responsabilité d’un «Grexit»? Quoiqu’il en soit, une chose est certaine : Alexis Tsipras vient d’infliger à la chancelière allemande la plus grande défaite de son règne en matière de politique internationale.
Qui a dit que la gauche ne pouvait pas gouverner?