Répression ciblée

Outre le nombre « alarmant » d’arrestations, Ann Dominique Morin, assistante de recherche et co-auteure du récent rapport de la LDL, souligne que de nombreuses violations de droits sont survenues lors des arrestations et des détentions de masse. Les témoignages recueillis par la LDL après la grève de 2012 auprès de militants et de militantes ciblées par la répression dans le rapport Répression, discrimination et grève étudiante faisaient déjà état d’atteintes systématiques aux droits et libertés protégées par les chartes et de discriminations fondées sur le profilage politique.

« Certains enjeux politiques sont ciblés par la répression », insiste une autre co-auteure du rapport, Lynda Khelil. L’étudiante à la maîtrise en science politique à l’UQAM qui a elle-même été judiciarisée pendant la période couverte par l’étude de la LDL soutient que l’illégalité d’une manifestation en raison de la non-divulgation de l’itinéraire sert souvent de prétexte à la répression. « Il y a beaucoup plus de manifestations sans itinéraire que ne le prétendent les services de police », poursuit la militante.

En effet, sur un total de 273 manifestations politiques répertoriées en 2013-2014 à Montréal, moins de 50 % avaient communiqué leur itinéraire à la police, selon les données présentées dans le bilan de la LDL. Sur les 139 manifestations dont l’itinéraire n’avait pas été fourni à la police, 116 ont été tolérées et 23 ont été réprimées. Des manifestations portant sur le logement, le service postal, l’assurance emploi, les droits des femmes, la Charte des valeurs ont été tolérées et n’ont donné lieu à aucune intervention policière, tandis que les manifestations de la Convergence de luttes anticapitalistes (CLAC) et du Collectif opposée à la brutalité policière (COBP) ont presque systématiquement fait l’objet d’interventions policières répressives.

Il n’a pas été possible d’obtenir d’explications sur les motifs qui ont poussé les policiers à tolérer certaines manifestations pourtant illégales en vertu de la non-divulgation de leur itinéraire, car le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a refusé notre demande d’entrevue. Le cabinet du Maire de Montréal n’a pas répondu à notre demande d’entrevue. Lors de la période de questions au conseil municipal du 15 juin, la responsable de la Sécurité publique à la Ville de Montréal, Anie Samson, a nié que le SPVM pratique le profilage politique.

Le 19 juin, une coalition de 89 groupes a présenté à L’Hôtel de Ville de Québec une déclaration pour le droit de manifester, signée par près de 4000 personnes qui s’inquiètent de la multiplication des « obstacles qui limitent le droit de manifester » et en particulier des « règlements municipaux restrictifs » qui « tendent à transformer l’expression contestataire en acte illicite ».

Jean-Philippe Guay, attaché de presse de la ministre de la Sécurité publique Lise Thériault, maintient que la répression policière n’est en aucun cas « une commande politique » venant du ministère de la Sécurité publique. Il indique par ailleurs que le concept de répression politique n’est « pas un terme que la ministre utilise ».

Des manifestations portant sur la cause étudiante, la brutalité et l’impunité policières ainsi que sur des enjeux liés aux luttes écologistes, anticapitalistes et anticolonialistes ont néanmoins fait l’objet d’une répression souvent violente de la part des forces policières qui ont eu recours à des arrestations individuelles ou collectives, parfois même de manière préventive, et à des armes de dispersion de foule.

Des manifestations portant sur le logement, le service postal, l’assurance emploi, les droits des femmes, la Charte des valeurs ont été tolérées et n’ont donné lieu à aucune intervention policière, tandis que les manifestations de la Convergence de luttes anticapitalistes (CLAC) et du Collectif opposée à la brutalité policière (COBP) ont presque systématiquement fait l’objet d’interventions policières répressives.

Des manifestations portant sur le logement, le service postal, l’assurance emploi, les droits des femmes, la Charte des valeurs ont été tolérées et n’ont donné lieu à aucune intervention policière, tandis que les manifestations de la Convergence de luttes anticapitalistes (CLAC) et du Collectif opposée à la brutalité policière (COBP) ont presque systématiquement fait l’objet d’interventions policières répressives.

Militarisation de la police

Jacinthe Poisson, militante au comité liberté d’expression de la LDL et coauteure du bilan de la LDL, dénonce cette « militarisation grandissante des corps policiers » qui passe par un recours de plus en plus fréquent par les policiers d’armes dites à létalité réduite, soit principalement des armes intermédiaires d’impacts à projectiles (AIIP) et des armes chimiques, telles que les gaz CS et le poivre de Cayenne.

La LDL révèle que des recommandations, émises en 2005 par l’École nationale de police du Québec (ENPQ), indiquent clairement qu’un policier « ne devrait utiliser les AIIP que pour se protéger ou pour protéger une autre personne contre une menace imminente de mort ou de lésions corporelles graves ». Or, l’usage indiscriminé d’AIIP par la Sureté du Québec (SQ) lors de l’émeute de Victoriaville en mai 2012 a failli couter la vie à Maxence Valade et a causé des lésions physiques graves à Dominique Laliberté-Martineau.

Concernant le Chlorobenzylidène malononitrile (CS), le Guide toxicologique pour les urgences en santé environnementale publié par l’Institut national de santé publique du Québec précise que « le risque d’effets sérieux sur la santé des individus augmente suivant une exposition prolongée » à de fortes concentrations de gaz CS et qu’il y a eu « plusieurs cas de décès suspectés » bien qu’aucun cas de mortalité n’ait été démontré. Au regard des risques pour la santé du public, l’utilisation massive et indiscriminée de gaz CS par le SPVM en plein centre-ville lors de la manifestation anticapitaliste du 1er mai 2015 pose donc de sérieuses questions.

Des documents internes du SPVM que la LDL a obtenus par le biais de la loi d’accès à l’information indiquent quant à eux que le projectile pyrotechnique de 37 millimètres utilisé pour disperser le gaz CS « pourrait causer des blessures graves allant jusqu’à la mort s’il est tiré sur un individu ».

Un agent du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) a néanmoins tiré un projectile de ce type en plein visage de la jeune Noémie Tremblay-Trudeau en mars dernier lors d’une manifestation devant l’Assemblée nationale.

Briser l’impunité policière

L’absence d’encadrement fait en sorte que les policiers jouissent d’une impunité quasi totale, même lorsqu’ils blessent gravement des civils en utilisant ces armes de façon indiscriminée. La Ligue des droits et libertés s’inquiète d’ailleurs du manque de transparence entourant la mise sur pied du Bureau des enquêtes indépendantes sur la police.

L’attaché de presse de la ministre Thériault soutient qu’il existe « des mécanismes de discipline internes » pour sanctionner les abus et les bavures. Dans les faits, les victimes n’ont souvent aucun autre recours que celui de porter plainte devant les tribunaux contre le service de police concerné qui refuse le plus souvent, au terme de son enquête interne, d’identifier le policier responsable.

Quant au taux de résolution des plaintes du Commissaire à la déontologie policière, il est d’à peine 1,75 % en ce qui concerne les dossiers de bavures lors de manifestations. En effet, sur 228 plaintes répertoriées pour 2012 et 2013 par la LDL en date du 19 mars 2015, 88 ont fait l’objet d’une enquête, dont seulement 21 ont été étudiées par le comité et uniquement 4 ont donné lieu à une décision.

Plusieurs victimes de bavures policières graves ont donc intenté des poursuites contre les corps de police responsables des agressions armées qu’ils ont subies. Ainsi, Francis Grenier, atteint au visage par un éclat de grenade assourdissante en mars 2012, poursuit le SPVM pour 350 000 $. Dominique Laliberté-Martineau a intenté l’an dernier une poursuite de 220 000 $ contre la SQ et Maxence Valade a mis sur pied cette année le collectif Armes à l’œil qui vise à faire du procès qu’il intente à la SQ un débat plus large sur la dangerosité que représentent les AIIP.