La manifestation End Austerity Now devrait être la plus grande que le pays a connu depuis celle contre la guerre en Irak en 2003. Cette apogée de contestation contre l’austérité fait suite à plus de deux ans de mobilisation faite par les opposants aux politiques austères du gouvernement Cameron.
Selon la chargée de cours en économie à l’université de l’Ouest de l’Angleterre (UWE), Susan Newman, l’élection du 7 mai dernier, qui a porté les conservateurs au pouvoir, a galvanisé le mouvement. « Beaucoup de choses ont changé, soutient-elle. En plus d’avoir mobilisé des gens contre les coupes à venir, l’élection a soulevé de nombreuses questions sur la nature de la démocratie ici. Plusieurs citoyens se sont ralliés au mouvement parce qu’ils sont insatisfaits du système électoral non proportionnel : seulement environ 35% des électeurs ont voté pour les conservateurs. »
Les chiffres ne mentent pas, selon l’organisateur régional de l’ouest du syndicat Transport Salaried Staffs’ Association, Alan Valentine. Il a fait remarquer, lors d’une réunion du Bristol People’s Assembly, un groupe local militant contre l’austérité, que « pour la manifestation du mois de mars, deux autobus ont été nolisés pour que les gens de Bristol et Swindon se rendent à Londres pour protester. Pour celle du 20 juin, ce sont sept autobus qui partent de Bristol seulement pour aller à la manifestation nationale. »
Les coupes se multiplient
En plus du sentiment d’insatisfaction face aux dernières élections, la multiplication des politiques austères du gouvernement mobilise beaucoup de gens, selon Susan Newman. Le financement de divers organismes communautaires avait déjà subi des coupes depuis 2010 et, maintenant, d’autres coupes sont à venir. « Les jeunes, les femmes, les personnes avec des maladies mentales, les toxicomanes, les sans-abris, les réfugiés et d’autres groupes ont vu des organismes qui les aidaient se faire couper leur financement », explique-t-elle.
« Le budget d’urgence du ministre des Finances, George Osborne, devrait contenir des coupes qui ont été repoussées en raison des élections. Elles vont probablement affecter particulièrement l’appareil de l’État cette fois-ci: les pensions, l’éducation, la santé, etc. », indique la chargée de cours. Le ministre a en effet annoncé qu’il réduira les dépenses de l’État de 23 milliards de dollars sur un budget 1 400 milliards de dollars. Selon elle, le Royaume-Uni ne connait que 25% des coupes prévues, les 75 autres sont à venir.
D’ailleurs, comme pour les libéraux au Québec, David Cameron n’a pas parlé de coupes pendant les élections. « Les coupes et l’austérité ont été évacuées du discours conservateur. David Cameron parlait plutôt d’ »équilibrer le budget », et « de faire, ensemble, ce qui était le mieux pour l’économie britannique » et maintenant il coupe », remarque-t-elle.
Des militants s’organisent
La campagne contre l’austérité au Royaume-Uni n’est pas organisée directement par des syndicats ou des associations étudiantes. C’est la People’s Assembly nationale, qui fédère plus de 80 groupes locaux répartis dans tout le pays appelés les People’s Assemblies, qui coordonne la campagne.
La première assemblée a été fondée à Londres en 2013. Derrière la création de ces groupes se trouvait la volonté pour plusieurs militants d’amener un large spectre de la population et d’organisations ensemble pour résister aux coupes et pour bâtir un argumentaire contre l’austérité. Ainsi, « il n’y a pas de membership, ni vraiment de gens élus, ce sont simplement des gens qui souhaitent travailler ensemble pour faire avancer la cause, notamment en supportant et en coordonnant les différentes campagnes contre l’austérité, explique Susan Newman, aussi militante à la Bristol People’s Assembly.
Par ailleurs, la faible présence d’étudiants et d’étudiantes dans les rangs des assemblées du Royaume-Uni est une différence majeure avec la mobilisation qui a eu lieu au Québec au printemps. « Il y a beaucoup de syndicats derrière les People’s Assemblies, des groupes communautaires, des citoyens, remarque Susan Newman. Bien qu’il y ait effectivement quelques étudiants qui participent, ce ne sont pas la majorité. » Elle souligne que ces derniers ont surtout été actifs en 2011, alors que des mesures austères affectaient plus directement l’éducation. « Pourtant, ajoute-t-elle, il y a des coupes en éducation supérieure et un changement de culture vers la nouvelle gestion publique et la recherche de performance. »
L’éducation populaire en complément
Certains autres groupes gravitent aussi autour de cette campagne. À Bristol, par exemple, la division locale d’un groupe de réflexion qui produit un journal mensuel gratuit, Counterfire, organise des conférences en lien avec les enjeux actuels.
La participation est étonnamment élevée : malgré une température clémente et du soleil, chose quasi exceptionnelle en Angleterre, des dizaines de personnes se sont entassées un mardi soir pour entendre parler des mouvements sociaux dans le sous-sol mal aéré d’un café.
Le conférencier, John Rees, cofondateur de la coalition Stop the War et militant bien connu au Royaume-Uni, a conclu la rencontre en rappelant à l’auditoire qu’il ne faut pas « voir les mouvements sociaux sur une échelle d’activiste, mais sur une échelle historique. Des mouvements qui peuvent sembler des échecs, comme ceux contre la guerre en Irak [où le Royaume-Uni a finalement envoyé des militaires] peuvent néanmoins avoir des effets profonds et durables. » Ce dernier explique que ces manifestations contre la guerre ont notamment poussé la majorité de la population à adopter une position pacifiste, même si les establishments médiatique et politique militaient en grande partie en faveur des politiques pro-guerres.
Bien sûr, malgré cela, les militantes et les militants de Bristol, et du Royaume-Uni dans son ensemble, souhaitent des résultats concrets le plus rapidement possibles. Ils se préparent déjà pour les prochaines actions.
« Après le 20 juin, la date importante, c’est le 8 juillet, indique Susan Newman. Des actions en réponse au budget d’urgence du gouvernement devraient avoir lieu partout au Royaume-Uni. » Les 23 milliards de coupes vont probablement avoir un effet mobilisateur. « Il faut bâtir un momentum et le faire durer », souhaite-t-elle.