Intensification de la répression
« Ce type de répression ne date pas d’hier », souligne Nicole Fillion, coordonnatrice de la LDL. Elle rappelle que les mouvements séparatistes, syndicaux et altermondialistes en ont été la cible entre les années 1970 et le début des années 2000. Entre 1999 et 2006, on dénombrait plus de 2 500 arrestations à caractère politique au Québec, soit un peu moins de 350 par année en moyenne. Depuis 2011, ce sont environ 1400 arrestations qui sont survenues chaque année, soit une augmentation de 400 %.
Aujourd’hui, ce sont les mouvements étudiants, écologistes, anarchistes, anticapitalistes, anticolonialistes ou les groupes dénonçant les abus policiers qui sont surtout ciblés.
C’est sur la base de données empirique obtenues en partie grâce à des demandes d’accès à l’information auprès du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) que Nicole Fillion constate « une intensification de la répression » qui se manifeste tant sur le plan politique que sur le plan policier, législatif et juridique.
Un durcissement sans précédent
Le durcissement de cette répression et le caractère systémique de celle-ci depuis 2012 ont été mis en lumière dans le récent rapport de la Commission populaire sur la répression politique.
Jean-Philippe Guay, attaché de presse de la ministre de la Sécurité publique Lise Thériault, soutient que si elle avait qualifié la commission Ménard de « réponse politique à une commande politique » et affirmé ne pas se sentir concernée par le rapport, il garantit que « les ajustements ont déjà été faits » dans la formation à l’École nationale de police du Québec (ENPQ) et au niveau des pratiques policières. L’équipe du ministère de la Sécurité publique « va prendre connaissance du rapport » de la LDL, assure l’attaché de presse qui ajoute cependant qu’en la matière, « l’expertise, ce n’est pas la ministre qui la détient », mais bien l’ENPQ et les corps de police.
Contestations judiciaires
Lucie Lemonde, spécialiste des enjeux de droits et libertés et porte-parole de la LDL, s’intéresse aux questions de répression policière depuis le Sommet des Amériques de 2001 à Québec. Elle note que les militantes et militants ciblés par la répression politique font preuve « d’une très grande solidarité » entre eux dans leur lutte contre la répression politique.
Face à la judiciarisation croissante des manifestations dans l’espace public, Nicole Fillion constate que les tribunaux deviennent « une voie de contestation » et qu’ils représentent désormais « un lieu de résistance » au même titre que la rue.
De nombreux groupes de défense collective se sont créés sous l’égide du Comité de soutien et d’autodéfense juridique de la CLAC ou du comité légal de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ). Des initiatives autonomes comme la formation de la clinique juridique Outrage au tribunal et la mise en place du Wiki des arrêté-e-s ont aussi vu le jour.
Le jugement qui a forcé l’annulation d’environ de 2000 constats d’infraction, est le résultat de ces efforts d’autodéfense juridique. Le retrait d’environ 85 % des contraventions émises en vertu de P-6 à Montréal entre 2012 et 2014 n’est pas sans rappeler « ce qui s’est passé au G20 de Toronto en 2010, où 95 % des 1 140 personnes arrêtées n’ont pas été accusées ou n’ont pas été reconnues coupables », souligne le bilan de la LDL.
Nicole Fillion y voit la confirmation qu’il s’agissait d’arrestations « totalement arbitraires », assorties de conditions de détention « complètement inacceptables et punitives », destinées à étouffer la contestation. Et en l’absence d’intervention de la part des responsables politiques, ce sont les tribunaux qui sont appelés à « faire la leçon à la police », déplore Lucie Lemonde qui souligne qu’une vingtaine de recours collectifs ont été intentés et neuf d’entre eux ont déjà été autorisés.
« Les violations de droits alléguées sont à peu près les mêmes dans tous ces recours, arrestation illégale, détention et fouille abusive, violation du droit à l’avocat-e, atteinte à la liberté, à la sécurité et à la dignité, atteinte aux libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique », peut-on lire dans le bilan de la LDL.
Le Ville de Montréal a d’ailleurs récemment conclu une entente à l’amiable dans le cadre d’un recours collectif similaire concernant une arrestation de masse survenue lors d’une manifestation contre l’OMC le 28 juillet 2003 à Montréal. Deux ans après cet évènement, le Comité des droits de l’Homme (CDH) de l’ONU avait blâmé le Canada pour ses pratiques policières qui briment la liberté d’expression. Le bilan de la LDL relève d’ailleurs que le CDH s’apprête à se pencher à nouveau sur le bilan du Canada en matière de droits civils et politiques.
La LDL attend par ailleurs les résultats de stratégies de contestation judiciaire offensives, comme la contestation constitutionnelle de l’article 500.1 du Code de la sécurité routière et celle de plusieurs dispositions répressives des règlements municipaux de Montréal et de Québec sur la paix et l’ordre.
« On n’est pas les seuls à s’inquiéter », se rassure Nicole Fillion qui voit de nombreux groupes unir leurs efforts pour « repousser les limites qu’on impose actuellement au droit de manifester ». Le Conseil central du Montréal métropolitain de la CSN organise par exemple ce mercredi 17 juin une soirée de réflexion sur le droit de manifester qui est de plus en plus « sévèrement réprimé par la loi et les forces policières ».