Il y aurait 2,2 millions de Népalais à l’étranger selon les estimations conservatrices du ministère du Travail et de l’Emploi. En comptant les migrants non enregistrés, partis illégalement ou sans assistance gouvernementale, ce chiffre pourrait grimper à près de 3 millions, soit 10% de la population. La main-d’œuvre est donc de loin la plus grande «exportation» du pays: les transferts d’argent de ces soldats du développement comptent pour près du tiers du PIB.

D’un côté, la catastrophe pourrait produire une ruée encore plus grande vers l’étranger, comme Maurizio Busatti, chef de mission à Katmandou de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le prédit déjà.Le menu pécule accumulé par la diaspora sert le plus souvent à payer les maisons, dont au moins 500 000 sont maintenant complètement détruites. L’équation est simple: leur argent servira aussi à la reconstruction, pendant que les bras manqueront au pays.

Le menu pécule accumulé par la diaspora sert le plus souvent à payer les maisons, dont au moins 500 000 sont maintenant complètement détruites. L’équation est simple: leur argent servira aussi à la reconstruction, pendant que les bras manqueront au pays.

En attendant, tous ceux qui peuvent envoyer de petites économies, des couvertures, des tentes, du riz se démènent pour les faire arriver le plus loin possible dans la montagne. Sur les routes, on voit des camions portant chacun une banderole distinctive: ici, les Népalais de Malaisie, là ceux qui vivent en Inde, et bien sûr, les travailleurs d’Arabie Saoudite et du Qatar.

L’appel des origines

L’après-midi du 25 avril, une dizaine d’amis et collègues népalais se rassemblent à l’agence de voyages Fishtail dans le quartier Burjuman à Dubaï. Ils regardent les nouvelles en ligne, tentent d’appeler leur famille, se confient leurs inquiétudes.

Dans ce cas, ce ne sont pas les travailleurs des chantiers de construction, ou ceux des plateformes pétrolières, lire: ils ne sont pas les plus exploités des Émirats arabes unis (EAU). Damodar Dahal, par exemple, travaille à Dubaï depuis 11 ans, d’abord en logistique pour un distributeur de grandes marques, comme Aldo et Tommy Hilfiger, puis aujourd’hui en analyse d’affaires. Il a construit depuis une plus grande maison pour sa famille à moins d’une centaine de kilomètres de Katmandou. La sueur de toutes ces années lui paraît maintenant vaine, puisque sa maison a été détruite par le tremblement de terre, ce qui ne l’empêche pas de s’activer déjà sur son téléphone pour fédérer les ressources de son réseau aux EAU.

La veille, on se promettait de faire du Népal la «Suisse des Himalayas», réunis dans un parc pour le vendredi de congé. On parlait du dernier groupe ad hoc de petits investisseurs mis sur pied par la Non-Resident Nepali Association (NRNA), qui vient d’investir dans un réseau de distribution alimentaire. La NRNA possède donc le pouvoir de réunir en peu de temps de l’argent et du matériel, bref de canaliser la volonté d’aider tous ces migrants loin de leur famille.

Ce genre de scène se répète partout dans le monde pour les milliers d’autres Népalais loin de chez eux. Une semaine après le séisme, Damodar Dahal et la NRNA de Dubaï distribuent des bâches de plastique dans le district de Kavrepalanchok. Près d’un mois après la catastrophe, ce sont 250 kilos de matériel qui ont été distribués. «Si je peux au moins donner un coup de pouce à ma région, je me sentirai plus en paix de retourner travailler aux EAU», confie M. Dahal.

Jum Bahadur Maghar n’a malheureusement pas bénéficié de l’une de ces distributions. Mais il espère lui aussi que son fils en Arabie Saoudite pourra lui envoyer de l’argent pour remonter un abri, voire une maison. Il vit à Paslang, à quelques kilomètres de Gorkha, le chef-lieu du district du même nom, fortement affecté par le tremblement de terre. Son plus jeune, Sugan, a 26 ans et travaille dans un supermarché là-bas, raconte-t-il en pointant les murs défoncés de leur maison. «Je n’avais pas de travail ni de pension de retraite, et mes anciens revenus ne suffisaient pas. Nous l’avons encouragé à partir pour payer le crédit», expose-t-il. Et maintenant, il y restera encore plus longtemps. Les raisons mêmes qui l’avaient fait partir viennent de s’aggraver.

À quelques maisons de là, une femme est tombée avec sa petite fille. Celle-ci a dû faire recoudre une longue entaille à la tête avec 13 points de suture. Elles espèrent aussi recevoir un petit montant du père, qui travaille dans une armée étrangère comme nombre des hommes de cette région, des Gurkhas réputés pour leur courage et leur endurance.

Le chaos des bonnes volontés

Ce n’est pas parce qu’on est du pays que la logistique est plus simple. Une dizaine de Népalais policiers à Singapour ont rempli deux petits camions avec de la nourriture et du matériel pour s’abriter. Ils espéraient se rendre jusqu’à l’épicentre du premier séisme, Barpak, mais la route coupe déjà à Baluwa, quatre à cinq heures de marche avant.

Hari Gurung est inspecteur de la police singapourienne depuis 24 ans et il fait partie de ce groupe. «On ne pouvait pas faire autrement que de venir. Tout le monde de mon unité s’est mobilisé pour envoyer ces biens, nous étions très préoccupés. Maintenant, on va devoir trouver comment les acheminer jusqu’en haut», constate-t-il.

D’où l’importance d’avoir le «big picture» et le «big money», insiste John Batey, coordonnateur de programme pour Save the Children, dans la région de Gorkha. Chaque matin, il se rend à une réunion de coordination entre tous les organismes présents dans le district, où il a hérité d’un très vaste territoire comprenant 25 VDC (l’équivalent des MRC au Québec).

«Nous sommes redevables envers nos donateurs et nous devons donc nous assurer que l’aide parvient au bon endroit, là où les besoins sont les plus criants. Le travail en double et les oublis sont tellement courants après une catastrophe, lorsque tout le monde se précipite pour aider, sans aucune coordination», explique-t-il après 25 ans d’expérience dans l’humanitaire.

«Nous sommes redevables envers nos donateurs et nous devons donc nous assurer que l’aide parvient au bon endroit, là où les besoins sont les plus criants. Le travail en double et les oublis sont tellement courants après une catastrophe, lorsque tout le monde se précipite pour aider, sans aucune coordination»

L’aide devient aussi parfois une occasion de parader. Tout près de Barpak, là où les Népalais de Singapour veulent parvenir, un hélicoptère se pose. Une banderole indique que la Universal Peace Federation vient de donner 215 000 roupies népalaises (2600 $ CA) à la région, soit environ le coût d’un voyage en hélicoptère!

Entre ces intentions louables, mais un peu trop ostensibles, et la lenteur de la grande bureaucratie internationale, la solution la plus efficace paraît encore être celle de l’afflux d’argent des migrants. Le rendez-vous manqué du développement au Népal n’a donc ouvert qu’un nouvel épisode avec ce séisme.