Cette vérité, c’est la voix ou le silence de 80 000 étudiants et étudiantes encore en vie à ce jour et qui, par des déclarations publiques ou privées, ont pu exorciser un passé vécu, vivant, douloureux et complètement ignoré par la population canadienne ainsi que, dans une grande majorité des cas, par leurs propres familles.
Cette vérité, elle existe dans tout ce que nous avons vécu, nous, la génération des enfants des survivants des pensionnats. Vérité dont on ne pouvait même pas imaginer l’existence, l’ampleur ou l’impact sur nos propres vies, puisqu’elle nous était souvent cachée.
Les impacts intergénérationnels des pensionnats indiens sur les enfants et les familles sont tellement réels qu’aujourd’hui, selon Statistique Canada, 48% des 30 000 enfants en famille d’accueil sont autochtones, même si les Autochtones ne représentent que 4,3% de la population canadienne. À défaut de tuer l’Indien dans l’enfant, les pensionnats ont tué l’enfant dans l’Indien et, par conséquent, le parent qu’il allait devenir…
Ces témoignages sont des plus importants pour notre histoire collective. Autant les historiens n’ont su rendre justice à ce pan de notre histoire, autant les survivants nous permettent de la corriger et d’enfin nous approprier la manière dont nous sommes représentés dans les livres. Cette vérité de plus de 100 ans est dure à avaler, et elle est loin d’être réjouissante pour de nombreux Canadiens et Canadiennes.
Réconciliation – Y’en aura pas de facile
Ce n’est un secret pour personne: les relations entre le Canada et les peuples autochtones sont à leur plus bas niveau. Depuis les excuses officielles du premier ministre Harper en 2008, on a pu assister à la montée d’Idle No More à travers le pays ainsi qu’à des mobilisations importantes concernant l’exploitation des territoires autochtones pour les ressources, les lois mammouths qui touchent les Premières Nations, le projet de loi sur l’éducation des Premières Nations ou encore la demande d’une enquête nationale sur les femmes autochtones assassinées et disparues, C-51…
Bref, la réconciliation pour M. Harper se résume à: «Um it, it isn’t really high on our radar, to be honest…» (ce n’est pas vraiment dans nos priorités, pour être honnête…), si on reprend sa fameuse réplique à la demande d’enquête nationale sur les femmes autochtones assassinées et disparues.
Pourquoi la réconciliation alors? Comme l’a souligné le commissaire Murray Sinclair : «La réconciliation n’est pas un problème autochtone, c’est un problème canadien. Cela nous concerne tous.»
On ne peut espérer guérir seulement entre nous; cela prendra aussi non seulement des changements politiques, légaux et institutionnels, mais également un changement profond dans la relation entre les citoyennes et citoyens canadiens et autochtones.
Il y a cinq ans, la plupart des Canadiens et Canadiennes ignoraient tout des pensionnats, de leur politique d’assimilation et, surtout, de l’histoire sombre qui les accompagnait. Très souvent, une réaction d’incrédulité était suivie d’une déclaration telle que: «J’ignorais que cela avait été fait en mon nom!»
Si l’ignorance, c’est le bonheur, l’ignorance de la loi ne dispense personne… La réconciliation ne peut plus être reportée ou ignorée. «Le coût de l’inaction est pire que le coût de faire quelque chose», soulignait Murray Sinclair à la fermeture de la Commission.
Heureusement pour nous, la sensibilisation du public qui assistait à la Commission a eu un effet positif sur plusieurs des témoins présents aux événements nationaux: «Je m’engage à partager cette histoire et à la faire connaître à toute ma famille!» ont entendu plusieurs.
Pour l’instant, la grande partie de la réconciliation est portée par la population canadienne, par des citoyens et citoyennes qui se portent volontaires pour témoigner de l’histoire commune du Canada des pensionnats ou qui révisent leurs idées préconçues car formées par une histoire biaisée et incomplète. Pourquoi s’engagent-ils dans un processus de réconciliation? Peut-être pour ne pas se retrouver comme le gouvernement conservateur actuel: du mauvais côté de l’histoire.
«Génocidesplaining» : Ce génocide est pire que le tien! Lalalère!
Quand la juge en chef de la Cour suprême, Beverley McLachlin, a littéralement décrit la politique de l’époque de Sir John A. Macdonald en ces termes: «Dans le mot à la mode de l’époque, c’était de l’assimilation; dans le langage du vingt et unième siècle, c’est un génocide culturel», la terre a tremblé au Canada.
Pas que ces termes n’aient jamais été évoqués auparavant ou que l’idée soit nouvelle. «Génocide» pourrait même être utilisé sans «culturel», si l’on compte le nombre d’enfants morts dans les pensionnats, par des actes criminels ou par négligence. Mais ce qui a réveillé le pays, c’est qu’aucune autorité aussi élevée n’avait jamais évoqué ou appuyé l’histoire avec des mots si forts, encore moins la juge en chef de la Cour suprême, qui siège sur de multiples causes concernant les peuples autochtones et dont les décisions deviennent lois. La surprise était grande, car en droit, tout réside dans les mots utilisés. M. Harper, lui, y est allé de sa propre définition, refusant le terme «génocide culturel», y préférant «assimilation forcée».
Les réactions à cette sortie de la juge McLachlin dans les journaux et les arguments habituels recensés dans les sections des commentaires ont mis en lumière le «génocidesplaining» auquel nous sommes confrontés. Cet outil de déflexion est utilisé dans le but de déculpabiliser ou de déresponsabiliser une personne ou l’ensemble d’un groupe de son devoir de mémoire et de compensation envers le groupe affecté.
Le suffixe splaining est utilisé dans les termes mansplaining et whitesplaining pour souligner l’attitude de supériorité d’un groupe «privilégié» envers un autre, quand ce dernier souligne l’injustice vécue. Dans une société qui cherche idéalement à faire preuve de justice et de démocratie, personne n’aime se faire remettre sous le nez qu’il bénéficie du désavantage de l’autre. Dans l’ignorance, tout va bien, mais quand la pomme de la connaissance nous cogne en plein front, il y a deux options: corriger la situation, ou faire du splaining.
On peut alors nier en bloc: «Le seul cas absolument clair de génocide est celui de la Shoah.» Ou «Il n’y a pas eu de génocide culturel au Canada», «Tout, partout, est génocide»… Les mots n’ont ainsi plus de sens. Certaines personnes peuvent aussi chercher à souligner le fait que tout n’était pas mauvais dans les pensionnats, utilisant les témoignages de ceux qui ont vécu leurs années de pensionnat sans problèmes pour discréditer l’autre. Dirait-on: «Il y a des survivants des camps nazis, cela ne devait donc pas être si terrible…»? On compare aussi les formes et les types de génocide. Qui a vécu le pire, le moins pire. «Si c’était si terrible, pourquoi on n’en parle pas alors?», «On les a sortis de la préhistoire et on leur a appris à lire et écrire!»…
J’ose penser que l’acceptation de la vérité et le processus de réconciliation sont trop avancés pour qu’un retour en arrière soit imaginable. Laissons là les moulins à vent et, surtout, évitons la section des commentaires des journaux. Notre réconciliation ne passera pas par là, et nous aurons peut-être plus de chance avec les prochaines générations.
#MaRéconciliation / #MyReconciliationIncludes
Pour voir où la réconciliation commence vraiment, on peut lire la série initiée par Christi Belcourt avec le hashtag #MyReconciliationIncludes, qui a permis à des Autochtones et non-Autochtones de dire à haute voix ce que représente, pour eux, la réconciliation.