En fait, autour de ces funérailles d’État s’est déployée une série d’événements à laquelle, dit-on, Bernard Landry a mis du sien. Alors que l’on salue Monsieur, un mois après l’élection de Pierre-Karl Péladeau à la tête du PQ, Duceppe annonce son retour pendant que Jean-Martin Aussant appelle à « la fin des exils, de tous les exils ». Autant tous ces événements (ou presque) vivent de dynamiques indépendantes les unes des autres, autant certains chercheront à tracer les lignes pour en faire une constellation, un alignement des astres favorable à la réalisation du projet d’indépendance. On voudra croire à un grand souffle, mais pour l’instant, cela ressemble plutôt – pour parler à l’anglaise – à de l’air chaud.
D’abord, l’élection de PKP à la tête du PQ n’a donné qu’une très modeste poussée aux intentions de vote pour le parti, bien loin de celle qu’avait provoquée l’élection d’André Boisclair. Autrement dit, le mouvement souverainiste, outre ces chamboulements symboliques, est loin d’avoir le vent dans les voiles. Alors que le référendum de 1980 était la conclusion logique de la dynamique de la Révolution tranquille, celui de 1995 était la réaction naturelle aux échecs des négociations constitutionnelles de Meech et Charlottetown, qui avaient laissé à la population québécoise un amer sentiment de rejet, qu’en est-il de 2015 (ou de 2018)? On a l’impression que les « leaders » souverainistes tentent de créer un mouvement par en haut, par un buzz, plutôt qu’en travaillant à la base, à coups de tracts, d’assemblées de cuisine et de mobilisations sur le terrain.
L’élection de 2015
De manière plus immédiate, le retour de Duceppe à la tête du Bloc brasse les cartes pour l’élection de cet automne, pour le NPD d’abord et avant tout. Celui-ci aura plus fort à faire qu’il ne l’aurait cru au Québec, mais les récents sondages montrent des indicateurs au vert pour ce parti plus que pour n’importe quel autre, au Canada comme au Québec : un chef apprécié, des priorités politiques au diapason de l’électorat, une grande place pour la croissance. Ainsi, on ne sent pas la panique, mais les tirs devront se rajuster : Mulcair aura deux adversaires au Québec plutôt que le seul Trudeau.
La partie ne fait que commencer et, déjà, on connaît les faiblesses de chaque joueur en sol québécois : l’impopularité extrême de Harper, l’inexpérience et la maladresse de Trudeau, l’ambiguïté de Mulcair au sujet d’Énergie Est et d’Israël… et le passé de Duceppe. Car, en effet, personne ne réclamait – outre dans certains cercles bloquistes très intimes – le retour de celui qui est responsable de l’état de délabrement actuel du parti. Et, depuis, ce même ex-chef a connu une transformation radicale de son personnage public : de figure sympathique, voire joviale, et au verbe acéré, il est devenu l’incarnation même de l’amertume politique, rengaines et déclarations pontifiantes à la clé. Une fois passé le choc initial, l’étoile de Duceppe pourrait-elle pâlir à nouveau, bien vite?
En outre, la division des votes francophones pourrait aider les conservateurs dans certaines circonscriptions, en particulier dans la région de Québec, là où le NPD avait surpris tout le monde en battant des figures conservatrices importantes en 2011. L’argument de la division du vote, si souvent utilisé sur la scène provinciale par le PQ, pourra bien être joué contre son frère fédéral.
Ainsi, le retour de Duceppe, plutôt qu’un coup de maître, se présente à ce moment-ci comme un coup de dés. Toutefois, advenant qu’il réussisse son pari de gagner une pluralité de sièges au Québec, il aura fort à faire pour maintenir le buzz souverainiste : la prochaine élection québécoise aura lieu trois ans après le scrutin fédéral de cet automne, soit le temps d’au moins six éternités politiques.
Ensuite, ce retour signifie que personne d’autre n’a eu la qualité et la témérité suffisantes pour faire renaître le Bloc, si une telle mission est possible (ce que nous verrons dans quelques mois). Un ex-député bloquiste confiait, avec justesse, au Devoir : « Ce n’est pas gagné d’avance avec M. Duceppe, mais au moins ce n’est pas perdu d’avance. » Car, oui, Gilles Duceppe a été un chef compétent. Mais une figure à elle seule ne suffit pas à faire gagner une élection : encore faut-il avoir une stratégie.
Indépendance et pétrole
Sous Gilles Duceppe, le Bloc a réussi ses meilleures campagnes lorsqu’il avait un os : le scandale des commandites en 2004 et 2006, les coupures en culture en 2008. Mais 2011 n’offrait aucun os, il ne s’est fallu que de peu pour que les francophones du Québec se tournent largement vers le NPD. Quel os le Bloc peut-il faire sien en 2015? La réponse nous est donnée depuis quelques mois déjà : le pipeline Énergie Est.
Ce projet a l’avantage, pour le Bloc, de susciter un doute généralisé au sein de la population, ce qui pourra lui servir de levier électoral, puisque le NPD nage en pleine ambiguïté. En même temps, cela peut également être une autre démonstration de l’intrusion fédérale qui, par la négative, montrerait la pertinence de l’indépendance du Québec. Indépendance et lutte anti-pétrole comme thèmes de campagne pour le Bloc québécois en 2015? Ce serait peut-être la meilleure chance pour le parti de redevenir une force politique, en phase avec les préoccupations immédiates d’une grande partie de la population québécoise. Cependant, cette stratégie a un prix, surtout du côté du « parti frère ».
En effet, jusqu’à maintenant, le PQ et son nouveau chef se sont bien gardés de manifester quelque opposition que ce soit aux projets pétroliers qui sont en ce moment sur la planche à dessin du gouvernement conservateur fédéral. En fait, leur position ressemble plus à celle du NPD qu’à celle du Bloc. Or, si ce dernier mise sur l’opposition aux pipelines pour mousser sa popularité, il faudra que le PQ le suive dans cette voie, sinon à l’incohérence politique s’ajoutera la trahison des promesses. Et la trahison pourrait faire encore plus mal au PQ, surtout dans les régions, que n’importe quelle déclaration maladroite de PKP.
L’autre considération qu’amène une stratégie axée autour de l’opposition à l’intrusion pétrolière fédérale est que celle-ci donnerait raison aux gens qui affirment que le projet d’indépendance ne peut exister sans projet de pays (dans ce cas-ci, un pays sans pipelines, plus vert, tourné vers la sortie des énergies fossiles plutôt que sur leur exploitation). À cet égard, une campagne anti-pipelines rapprocherait davantage le Bloc de la conception de l’indépendance mise de l’avant par Québec solidaire que de celle défendue par le PQ depuis 20 ans. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi, mais les argumentaires bloquo-péquistes devront s’ajuster : non, l’indépendance ne peut pas se faire « ni à gauche, ni à droite »; il lui faut une direction, un projet, une substance. Et celle-ci se situe davantage dans le champ gauche que dans le champ droit.