Le jour même, Françoise Bertrand, présidente de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), n’y allait pas avec le dos de la cuillère, qualifiant les signataires du manifeste de «poètes qui ont une vue très romantique de la nature» et nous conseillant même «de peut-être considérer des déménagements en Pennsylvanie ou au Utah». «Je pense qu’ils y seront plus heureux parce que là, c’est une vie avec calèches et chandelles», ajoutait-elle.
Le lendemain, deux chercheurs de l’inimitable Institut économique de Montréal (IEDM) publiaient une lettre dans le quotidien Le Devoir, nous reprochant d’avoir «l’hyperbole fréquente» et nous qualifiant de «dissidents autoproclamés». Ils allaient même jusqu’à reprocher à l’Élan global d’être incompatible avec «l’idéal de liberté et de démocratie», puisqu’il viserait à «contraindre les Québécois à un mode de vie frugal en invoquant l’urgence d’agir». Rien de moins!
Des critiques éculées, fondées sur des préjugés
Il est plutôt habituel de lire ce genre de réactions de la part du milieu des affaires lorsque des citoyens et citoyennes prennent la parole pour réclamer un réel changement de cap en matière de lutte aux changements climatiques. Cette fois, par contre, le ton est particulièrement hargneux. Qu’est-ce qui dérange tant dans l’Élan global? Examinons les critiques qui y ont été adressées par les représentants du monde des affaires.
D’abord, on reproche (une nouvelle fois) aux écologistes de souhaiter un appauvrissement généralisé de la société. «Si on n’enrichit pas le Québec avec les hydrocarbures, avec quoi le fera-t-on?» s’interrogeait justement Éric Tétreault, président de Manufacturier et exportateur du Québec (MEQ). Les deux chercheurs de l’IEDM parlaient quant à eux «d’immobilisme» pour qualifier la position de l’Élan global. Curieux argument, lorsqu’on sait que selon une étude récente, chaque million de dollars investi dans l’industrie du pétrole et du gaz crée en moyenne deux emplois, alors que la même somme, investie dans le secteur des énergies propres (solaire, éolienne, hydroélectrique ou biomasse), crée quant à elle 15 emplois en moyenne. Autrement dit, le même dollar est sept fois plus producteur d’emplois lorsqu’il est investi dans les énergies propres! Si M. Tétreault cherche une alternative à la pétroéconomie, il n’a donc qu’à regarder un peu autour de lui. Il constatera que partout à travers le monde, de nombreux pays développés sont déjà en train d’enclencher une transition énergétique. Pendant ce temps, il faudrait que le Québec marche à l’envers du temps en se lançant dans l’exploitation pétrolière? En voilà une, une position immobiliste, voire rétrograde.
Ensuite, on souligne à gros traits le caractère soi-disant irréaliste des demandes du manifeste. Diminuer la consommation de pétrole apparaît au mieux comme de la «pensée magique», au pire comme un objectif susceptible de faire du Québec une société «éclatée, rationnée, inerte». Il est justifié d’affirmer que cette cible est beaucoup plus ambitieuse que le plan de match actuel. Or, celui-ci ne permettra pas l’atteinte des cibles de réduction fixées par les scientifiques du monde entier. Certains pays ont d’ailleurs fait le choix d’accélérer le pas: le Danemark a notamment décidé de devenir entièrement indépendant des combustibles fossiles dès 2050. Nous proposons quant à nous une réduction de moitié de la consommation d’ici 2030, et une neutralité carbone d’ici 2050. C’est certes un défi, mais un défi qu’il est possible de relever si nous nous mettons à la tâche dès maintenant.
De surcroît, l’ensemble de ces interventions reprochent aux signataires de l’Élan global d’être passéistes, voire réactionnaires. Dans leur missive, les deux membres de l’institut de recherche d’obédience libertarienne parlent même «d’un grand bond en arrière qui causerait le dénuement et la misère pour l’immense majorité», ce qui recoupe les propos de la présidente de la FCCQ cités précédemment. Ici, les bras m’en tombent. Par quelle contorsion intellectuelle peut-on en arriver à parler de la transition vers une économie verte comme d’un «bond en arrière»?Françoise Bertrand et l’IEDM savent-ils de quoi ils parlent, lorsqu’ils prennent position sur de tels enjeux? Savent-ils que depuis 2014, les emplois créés dans le secteur des énergies propres ont dépassé pour la première fois le nombre d’emplois dans l’industrie des sables bitumineux? La question se pose: qui va vraiment dans le sens de l’histoire? Ceux qui s’accrochent aux énergies fossiles, où ceux qui entrent dans le 21e siècle en travaillant à s’en libérer?
Pour couronner le tout, nos critiques qualifient les signataires du manifeste de «poètes» qui manquent de sérieux. Or, ce qui est «lyrique» et candide, ce n’est pas notre appel à la prise de conscience et à l’action collective, mais plutôt l’attitude des chercheurs de l’IEDM, qui ne proposent comme solution à la crise actuelle qu’un vague appel à «l’innovation». Voilà qui manque d’originalité: ils proposent (comme à l’habitude) de faire business as usual et de s’en remettre au pouce vert de la main invisible. Ainsi, pour nos deux chercheurs, dans le cas de la crise écologique comme dans celui des inégalités sociales, aucune volonté politique n’est requise: c’est en laissant aller les forces occultes du marché que nos problèmes se régleront. Qui fait vraiment usage de «pensée magique»?
Développement économique ou défense d’intérêts?
On le voit bien, la réaction épidermique des chambres de commerce et de l’Institut économique de Montréal ne s’explique ni par le réalisme économique de nos propositions, ni par la rentabilité potentielle du projet de transition énergétique que nous proposons. Leur attitude révèle la réelle raison d’être de ces groupes de pression: faire valoir les intérêts de l’industrie pétrolière. Ils ont manifestement beaucoup plus à cœur la défense de celle-ci que le développement de l’économie et de la société québécoise. De toute évidence, ces intérêts ont été ébranlés par la publication de l’Élan global. Voilà un indice de sa pertinence et de sa nécessité.
La question pétrolière est plus qu’une question écologique: c’est aussi et surtout une question démocratique. La balle est désormais dans le camp des citoyens et citoyennes. Qui décidera de l’avenir du territoire québécois?
Pour lire et signer le manifeste Élan Global, vous pouvez le faire ici