Cette décision prise par le congrès de la FAÉCUM revient, à toutes fins utiles, à signer l’arrêt de mort de la FEUQ, qui ne compte maintenant plus que quelques membres disparates qui n’ont jamais brillé par leur capacité de mobilisation. D’autant plus que la FAÉCUM a toujours été considérée comme l’âme ou le cœur de la FEUQ, tant pour ce qui est de l’impulsion politique que pour la formation de son conseil exécutif.
L’état des lieux
Depuis la fin de la grève de 2012, la FEUQ et sa petite sœur de niveau collégial, la FECQ (Fédération étudiante collégiale du Québec), ont connu plusieurs défaites, à commencer par une perte massive de membres (ce qui, dans le cas de la FECQ, a occasionné de sévères difficultés financières). La FEUQ a en effet perdu plusieurs associations universitaires de région, notamment à Rimouski (AGEUQAR) et à Chicoutimi (MAGE-UQAC). Ironiquement, c’est la domination politique et l’arrogance de la FAÉCUM au sein de la FEUQ – et le « montréalocentrisme » en résultant – qui ont poussé plusieurs de ces associations à se désaffilier. Mais, maintenant qu’elle n’a plus le poids politique qu’elle avait jadis, la FEUQ perd son intérêt aux yeux de la FAÉCUM en tant qu’arme de calibre national… et donc, elle quitte à son tour. Mais les raisons de ces écueils ne s’arrêtent pas là.
Souvent perçues comme les clubs-écoles du Parti québécois (Salut Léo! Bonjour Martine!), les fédérations ont le plus souvent adopté une posture et un langage qui s’apparentent davantage au lobbyisme qu’à la lutte. Et c’est là tout le problème : en singeant les façons de faire d’une classe politique qui répugne une portion toujours grandissante de la jeunesse, la FECQ et la FEUQ ont creusé un fossé entre elles-mêmes et leurs membres. À voir les rues qui se réchauffent ce printemps, il est facile de voir que les étudiantes et les étudiants veulent plus de démocratie, pas de technocratie : l’approche fecq-feuqiste devient caduque.
Et cela est d’autant plus vrai que, pendant les 18 mois du gouvernement Marois, les fédérations ont été incapables de tenir un discours musclé, alors que l’annonce de l’indexation des frais de scolarité suite au cirque du « sommet » de 2013 a été largement perçue comme un recul par rapport au gain de la grève de 2012. Par cette timidité, les fédérations ont prouvé qu’elles étaient incapables d’assumer une position forte lorsque le PQ est au pouvoir. Pourquoi, alors, vouloir d’une association nationale qui se retrouve neutralisée quand le pouvoir a une certaine couleur?
Pendant ce temps, c’est la dynamique inverse qui s’est produite à l’ASSÉ : comptant 40 000 membres en janvier 2012, elle en a maintenant plus de 80 000. La raison de ce succès est principalement l’expérience de la CLASSE, la coalition de grève de 2012, qui a su assumer un rôle hégémonique sur le mouvement, tant par un discours clair et articulé que par son ouverture démocratique qui donnait un sens à l’adhésion de petites comme de grandes associations locales. Il ne faut pas négliger non plus l’aura envoutante « d’underdog », de dernière ligne de résistance au gouvernement de Jean Charest qu’on lui a conférée. Mais aujourd’hui, comme auparavant, l’ASSÉ est traversée de débats politiques vigoureux au sujet de ses orientations politiques comme des moyens utilisés : voilà la contrepartie du fait de rassembler l’arc-en-ciel de la gauche.
Depuis la disparition de la Table de concertation étudiante du Québec (TaCEQ) en 2013, aucune association n’a repris le flambeau la « troisième voie ». Or, justement, les associations universitaires de région qui ont quitté la FEUQ travaillent à un projet de « table des régions » qui serait libérée de l’influence trop grande des grands centres. En même temps, la Confédération des associations d’étudiants et d’étudiantes de l’Université Laval (CADEUL), l’Association étudiante des sciences de la gestion de l’UQÀM (AESG) et la FAÉCUM cherchent à créer une nouvelle association nationale (et cela pourrait expliquer la désaffiliation de cette dernière de la FEUQ), sans avoir réussi à agrandir leur alliance. Ainsi, on pourrait bientôt se retrouver avec une ou deux nouvelles associations étudiantes nationales. Le paysage politique étudiant serait alors plus fragmenté que jamais.
Vers une nouvelle hégémonie?
La (ou les) nouvelle(s) association(s) nationale(s) ne verra pas le jour de sitôt et ne saura pas être aussi grosse que la FEUQ l’était, du moins pas à moyen terme. Or, l’ASSÉ est maintenant l’association étudiante nationale qui compte le plus de membres. Cela a de quoi incommoder le gouvernement, qui avait en la FEUQ un interlocuteur « raisonnable », qui ne hausse jamais le ton et joue sagement le jeu du groupe d’intérêt « traditionnel ». Au contraire, il est encore loin, très loin, le jour où l’ASSÉ jouera l’enfant sage devant un gouvernement. C’est là toute sa force… et aussi l’un de ses plus grands défauts aux yeux de ses détracteurs et de ces gens qui aiment la politique encarcanée de la joute partisane. Mais elle se trouve à la croisée des chemins, entre le maintien de sa forme et de sa posture actuelle et la croissance pour devenir l’association nationale hégémonique.
C’est que l’ASSÉ se présente souvent comme la descendante du Mouvement pour le droit à l’éducation (MDE, 1995-1999) et, surtout, de l’Association nationale des étudiants et étudiantes (ANEEQ, 1975-1993). Cette dernière, pendant l’essentiel de son existence, a été la seule association nationale étudiante et regroupait en son sein la majorité de la population étudiante québécoise. Ayant comme revendication principale la gratuité scolaire, elle était le théâtre d’une lutte politique incessante entre diverses tendances politiques : marxistes-léninistes, péquistes, anarchistes, trotskistes, maoïstes, socio-démocrates, etc. (Anecdote intéressante : Pierre-Karl Péladeau y a même déjà milité, à l’époque où il se disait marxiste). Mais ces tensions internes ont aussi été la cause de déchirements qui ont fini par mener à sa dissolution.
L’ASSÉ voudra-t-elle jouer un rôle semblable à celui de l’ANEEQ? Car, aujourd’hui plus que jamais, la question se pose. En fait, on la lui pose : les associations étudiantes de service social et de sciences infirmières de l’Université de Montréal, sans avoir été approchées par l’ASSÉ, ont décidé d’entamer des démarches qui pourraient résulter en une affiliation. Alors, celle-ci voudra-t-elle s’ouvrir à la perspective d’accueillir des membres qui sortent de sa zone de confort? Cela exigerait une modification structurelle et pourrait l’amener à diluer certaines de ses positions les plus « radicales », mais elle gagnerait en puissance de mobilisation et donc, d’information et d’« éducation populaire ». Il ne faut pas non plus négliger le fait que son pouvoir d’attraction réside précisément dans sa posture actuelle et dans son caractère démocratique.
L’expérience de l’ANEEQ peut lui servir de modèle et, à la fois, de mise en garde. Un juste milieu est-il possible? L’ASSÉ doit aujourd’hui se poser la question de sa raison d’être, de ses perspectives et de ses possibilités dans des termes nouveaux, que ce soit pour choisir le statu quo ou tenter l’expérience de l’inédit.