«Face au monde qui change, il vaut mieux penser le changement plutôt que changer le pansement», clame Alexis Lecointe, 32 ans, retraité, dans ses conférences gesticulées où il vante les mérites du revenu de base, également appelé «allocation universelle» ou «revenu d’existence».

À l’heure du chômage de masse et des emplois toujours plus précaires, revendiquer un droit au revenu avant même un droit au travail est loin d’être absurde. D’ailleurs, l’humaniste anglais Thomas More évoquait déjà l’idée d’une couverture sociale généralisée dans L’Utopie, paru il y a presque 500 ans! Depuis 2010, le revenu de base revient en force à tel point que ses défenseurs ont poussé pour un débat dans la sphère politique via une initiative citoyenne européenne, rejetée par la Commission européenne l’an passé.

Rien à signaler

Déconnecter emploi et revenu n’est pas révolutionnaire si l’on pense aux allocations versées par l’État (minima sociaux, retraite, chômage, congés parentaux, etc.). La véritable nouveauté tient dans l’inconditionnalité du versement de ce revenu. Exit les trappes de pauvreté dans lesquelles se retrouvaient des travailleurs et travailleuses précaires, exit aussi la stigmatisation des «assistés sociaux» puisque tout le monde perçoit ce même montant sans avoir l’humiliation de prouver quoi que ce soit, plaide le philosophe et économiste belge Philippe Van Parijs, un des fondateurs du Réseau Mondial pour le Revenu de Base. L’organisme fait des adeptes aussi bien dans les milieux alternatifs de gauche qui y voient une consolidation de l’État providence que chez les ultralibéraux séduits par la libéralisation du travail.

C’est d’ailleurs ce qui fait tiquer le sociologue du travail Mateo Alaluf, auteur de l’essai L’allocation universelle, nouveau label de précarité. Selon ce dernier, la somme versée à tous serait forcément d’un niveau modeste, voire médiocre, et obligerait ses bénéficiaires à accepter du travail à n’importe quel prix pour arrondir leur fin de mois. En résulteraient une dégradation des conditions de travail et la prolifération de «bullshit jobs», qu’il traduit par «emplois foireux».

Un argument balayé dans les pages de L’inconditionnel, le premier journal francophone consacré au revenu de base, dans lequel les partisans incitent le lectorat à désaxer notre vision de la valeur «travail» au cœur de l’économie. L’automatisation industrielle allant bon train, il n’est plus pertinent de viser le plein emploi et de sous-estimer les richesses produites par les activités non rémunérées.

Une incitation à la paresse?

L’Inconditionnel met à mal un autre préjugé: verser une somme sans contrepartie générerait une société oisive et paresseuse qui passe son temps à se la couler douce. D’abord, le revenu de base est un socle garanti: rien n’empêche d’avoir un emploi rémunéré à côté si l’on en ressent l’envie ou le besoin financier. Ensuite, recevoir une somme sans accomplir de tâche rémunérée n’est pas synonyme d’être payé à ne rien faire! Libéré de contraintes financières, le citoyen et la citoyenne «s’emploient» là où bon leur semble, dans des activités utiles au bien commun (famille, bénévolat) ou dont la «rentabilité» ne s’observe que sur le long terme, comme la formation, l’entrepreneuriat ou l’activité artistique.

Au final, les périodes hors emploi ne seraient plus suspectes, puisque le travail rémunéré cesserait d’être la seule forme reconnue d’activité. L’économiste Baptiste Mylondo va même plus loin en pensant que cette hausse des temps partiels choisis pourrait être facteur d’une décroissance soutenable. Travailler moins pour gagner moins s’apparenterait alors à «une baisse volontaire de notre bien-être matériel pour un plus grand bien-être social».

Qui paie l’addition?

Si la question du montant de cette allocation est vivement discutée, celle de son financement l’est encore plus! Un éventail de plusieurs options cumulables ont déjà été avancées, allant des taxes spécifiques sur les transactions financières ou produits de luxe et polluants à la création de monnaie locale. Sans oublier les économies réalisées grâce à l’arrêt d’une gestion administrative de contrôle social devenue inutile.

En Alaska, les fruits de l’exploitation du pétrole sont redistribués aux citoyens et citoyennes sous forme de revenu de base annuel depuis 1982, un exemple suivi par l’Iran en 2010. Dépourvues d’énergie fossile, l’Inde et la Namibie ont mis en place dans des villages des projets pilotes dont les résultats préliminaires sont très positifs. Plus concrètement encore: en 2016, les Suisses se prononceront en grande première sur l’intégration du revenu de base dans leur Constitution. Une avancée qui pourrait rapidement créer un effet boule de neige bien au-delà des montagnes helvètes. Alors hâtons-nous tranquillement de l’envisager!