Un essai sur une situation semblable

La France a connu une situation semblable à
celle de la Grèce avant la Deuxième Guerre mondiale. Entre 1936 et 1938, Léon
Blum a dirigé un gouvernement du Front populaire, une coalition de partis de
gauche. Je ne connais pas très bien l’histoire de cette coalition, mais à
première vue, elle ressemble étrangement à Syriza. Rappelons aussi que la France
vivait une grande crise économique depuis 1931. Blum a bien décrit dans À l’échelle humaine toute la difficulté
de gouverner pour l’«intérêt populaire» dans une société historiquement
contrôlée par la bourgeoisie. Il en parle avec une plume magnifiquement
instructive:

«Le parti socialiste [ici il parle du Front
populaire] a été appelé au gouvernement, mais il savait parfaitement qu’il ne
pouvait exercer le pouvoir que dans les cadres de la société bourgeoise. Même
quand la chambre élue semblait appartenir à une majorité populaire, la
bourgeoisie conservait des moyens de résistance qui ne cédaient que
temporairement à la peur. Elle disposait des assemblées locales, de la presse,
des cadres de fonctionnaire de la finance, des milieux des affaires […] »
(p. 76)

Voici un deuxième extrait, d’abord sur la
dimension du rapport de force qui a permis de mettre en place les réformes,
ensuite sur la capacité de la bourgeoisie à récupérer ce qu’elle avait perdu:

«En 1936, comme il fallut rattraper tout d’un
coup les retards accumulés par elle [la bourgeoisie], lorsque de grandes
réformes devinrent le seul moyen d’éviter une révolution sanglante et qu’un
gouvernement du Front populaire s’efforça de lui faire accepter dans la
concorde, elle ne les subit que par peur, et elle s’ingénia aussitôt honteuse
et acrimonieuse de sa propre peur, à les reprendre par la force ou par la ruse.»
(p. 78)

La théorie appliquée

Le discours mis de l’avant par les partis de
la nouvelle gauche tire, du moins je crois, ses racines dans certaines théories
développées par le journaliste et communiste Antonio Gramsci. C’est pourquoi je
vous recommande de lire La penséee politique de Gramsci* de
Jean-Marc Piotte, en prêtant une attention particulière au concept d’hégémonie
culturelle et au rôle du parti politique. Pour Syriza, comme pour son cousin
espagnol Podemos, la notion d’hégémonie est importante. Ils nous le rappellent sans cesse: «l’objectif n’est pas de faire plaisir aux sensibilités gauchistes
du 10% de la population qui partage déjà nos idées, mais bien de constituer un
véritable mouvement populaire». Cette stratégie doit passer par le
développement d’un discours populaire, capable de déloger le discours dominant.
J’ai lu ce livre pour mon bac, d’un coup, alors que je faisais
Montréal-Rimouski en autobus. On peut aussi lire gratuitement sur Gramsci grâce
à la bibliothèque numérique Les classiques des sciences sociales Il peut être difficile de lire Gramsci
directement dans le texte, c’est pourquoi je propose de lire d’abord l’analyse
de Jean-Marc Piotte.

Gramsci n’est pas très connu au Québec, mais ses
écrits ont inspiré la stratégie de communication d’une organisation dont on ne
parle plus beaucoup aujourd’hui, mais qui autrefois s’appelait la CLASSE.

De la littérature

Finalement, pour ceux et celles qui aiment
mieux la littérature, je vous propose L’Homme
qui aimait les chiens de Leonardo Padura. Une histoire sur Trotski et son
assassin, à travers laquelle on voit passer la guerre d’Espagne, les débats
entre réformistes, communistes et anarchistes. Bien que l’auteur nous présente
sa désillusion face aux «vieilles idéologies», je trouve qu’il s’agit d’un
récit qui vaut la peine d’être lu, ne serait-ce que pour se plonger dans
l’histoire de la gauche, une histoire que l’on enseigne très peu au Québec. Il
s’agit d’un bon roman pour tourner la page sur un passé parfois monstrueux,
mais qui reste fort instructif pour comprendre l’évolution des partis de gauche
et leurs mutations.

*Pour une version papier, Lux éditeur en a fait une
réédition