Il s’agit d’un troisième affrontement impliquant les troupes
canadiennes. Selon les informations communiquées la semaine dernière par les
Forces armées canadiennes en conférence de presse et confirmées par des sources
indépendantes, des soldats du Régiment des opérations spéciales du Canada
accompagnaient les troupes irakiennes qu’ils entrainaient depuis le mois de
septembre dernier. Ils sont tombés dans une embuscade tendue par les forces de
Daech, essuyant des tirs de mortier et de mitrailleuses. Les soldats canadiens
et leurs collègues irakiens ont par la suite répliqué à l’aide de leurs armes
et neutralisé les tireurs ennemis, appuyés par des tireurs d’élite.

Des escarmouches qui ont tout de même défrayé les manchettes
nationales et fait réagir les partis d’opposition. Ces derniers ont accusé le
gouvernement Harper d’avoir menti au sujet de la nature de cette mission
« d’assistance militaire » qui comprend le déploiement de 69 soldats
des forces spéciales officiellement à titre de « conseillers » et de
six chasseurs-bombardiers CF-18, en plus des troupes affectées à la logistique
et à l’administration de la mission, actuellement basée au Koweït.

Mensonge par omission?

Nouveau chapitre canadien de la nébuleuse « guerre au
terrorisme », cet engagement martial ramène à l’avant-plan le discours vague
entretenu par le gouvernement concernant les tenants et aboutissants du
déploiement de soldats des forces spéciales, citant régulièrement des
impératifs de sécurité nationale.

Le 6 octobre dernier, le ministre des Affaires étrangères
John Baird déclarait devant la Chambre
des Communes que « le gouvernement du Canada ne déploiera pas de troupes dans
le cadre d’opérations de combat au sol ». Or, ce type de mission, définie
dans le jargon militaire comme « défense, diplomatie et assistance
militaire », comporte inévitablement un volet terrain, notamment pour
évaluer le succès de l’entrainement et fournir une aide en temps réel aux
commandants irakiens pour planifier et diriger l’assaut. Au cours du point de
presse du 19 janvier dernier, le brigadier-général Michael Rouleau, commandant
des forces d’opérations spéciales, a également confirmé la présence de
contrôleurs au sol JTAC (Joint Terminal
Attack Controller) pour guider les avions de chasse vers leurs cibles.
Selon plusieurs sources, les CF-18 canadiens ont effectué une douzaine de
sorties de combat au cours de la dernière semaine. Bien que les systèmes
d’armes embarqués sur les avions canadiens ne requièrent pas de guide au sol,
cette mission de coalition regroupe des appareils de plusieurs pays dont les États-Unis,
où les contrôleurs JTAC des forces spéciales canadiennes ont acquis une solide
réputation.

Pour le politologue Philippe Lagassé de l’Université
d’Ottawa, le gouvernement Harper marche sur des œufs en entretenant le flou
autour de cette mission. « Dans l’esprit du Premier ministre, une mission
de combat équivaut probablement à des soldats se déplaçant dans des véhicules
blindés comme en Afghanistan », dit-il. Il ajoute que le Premier ministre
se doit de connaître tous les paramètres d’une mission militaire avant de
l’autoriser et qu’il reçoit des briefings
de la part du haut commandement.

M. Lagassé affirme également que malgré tout, les Forces
armées canadiennes ont fait preuve d’une grande transparence – une conférence
de presse donnée par un commandant des forces spéciales constitue une première.

Imputabilité

La question de l’imputabilité des forces spéciales mérite
aussi qu’on s’y attarde. Actuellement, le commandant des forces spéciales
canadiennes se rapporte directement au chef d’État-major de la défense, qui
répond de son côté au ministre. Il n’existe aucun comité indépendant qui en
surveille les activités. Aux États-Unis, deux sous-comités du Sénat rattachés
au Comité sénatorial sur les forces armées (US
Senate Committee on Armed Forces) surveillent étroitement le commandement
des forces spéciales américaines sous toutes ses coutures – budgets,
acquisition de matériel, opérations. Seuls le Combat Applications Group (la « Delta Force ») et le Naval Special Warfare Development Group (SEAL Team 6, une unité ultra-secrète de
la marine) échappent à leur vigilance. Au Canada, ni le Régiment des opérations
spéciales, ni la Joint Task Force 2 (l’unité
chargée du contre-terrorisme) ne sont surveillées, contrairement au Service
canadien de renseignement de sécurité, par exemple.

Cette absence d’imputabilité devant le Parlement rend
difficile la vérification indépendante d’allégations graves concernant les
forces spéciales. En 2011, une enquête de la CBC se penchait sur le cas d’un
ancien membre de la Joint Task Force 2 qui
avait accusé des soldats de l’unité d’élite de crimes de guerres qui auraient
été perpétrés en Afghanistan. Le Service national des enquêtes des Forces
armées canadiennes, une division de la police militaire, n’avait retenu à
l’époque aucune accusation.

En place depuis avril 2014, le brigadier-général
Rouleau avait alors affirmé s’être donné
le mandat de rendre ses unités plus transparentes.

Le gouvernement refuse catégoriquement d’engager un débat en
Chambre sur la question des forces spéciales en Irak, malgré les appels des
partis d’opposition et le spectre de l’élection fédérale d’octobre prochain qui
se manifeste.