Il faut l’avouer, l’activité physique est encore perçue comme un loisir ou une habitude de vie plus masculine que féminine. D’emblée, il est plus habituel qu’un homme sue, coure, défonce tout et, en prime, soit à l’aise de finir tout gluant, rouge et haletant. Normal, puisque ces signes sont associés à la virilité et à la puissance. Les manifestations physiologiques d’un effort physique soutenu ont même, chez l’homme, une connotation sexuelle à peine dissimulée. Combien de fois, dans les publicités, les vidéoclips ou les comédies romantiques de série B, présente-t-on, pour aguicher, un homme tout en sueurs, après le sport ou une séance de dur labeur? Il s’agit du cliché par excellence pour symboliser une figure masculine forte. De manière prévisible, l’équivalent n’est pas vrai pour les femmes. La femme n’est jamais à son avantage lorsqu’elle fait la démonstration de sa force physique. On préférera l’imaginer trottinant tranquillement, les cheveux au vent, les joues roses et l’air ingénu. La jolie fille, celle qui séduit et qu’on veut prendre, n’est certainement pas celle qui s’époumone sur un terrain de rugby…
Poussant un peu la réflexion, il me semble qu’au-delà des représentations, il existe une différence plus profonde entre la relation que les hommes et celle que les femmes entretiennent avec l’activité physique. Si, bien sûr, les femmes athlètes sont nombreuses et ne choquent plus personne, le sport «pour le sport», celui qu’on fait, au quotidien, pour lâcher son fou avant tout, demeure associé à l’imaginaire de la masculinité. Chez les femmes, l’activité physique est plus étroitement liée à l’apparence et à l’hygiène corporelle, voire à une forme de «responsabilité». Alors qu’on encourage les hommes à faire du sport pour se défouler, pour canaliser leur «surplus d’énergie mâle», on enjoint plutôt aux femmes de faire de l’exercice pour répondre à des injonctions esthétiques et morales. Évidemment, l’habituel sermon médical sur le surpoids et la santé cardiovasculaire ne présente pas d’emblée un caractère genré. Hommes et femmes devraient faire de l’activité physique pour préserver leur santé. Mais il apparaît que la sanction sociale de la sédentarité, de l’embonpoint ou d’une piètre forme physique est bel et bien différenciée selon le sexe.
L’homme sédentaire sera plus spontanément perçu comme trop concentré sur ses responsabilités professionnelles ou familiales pour consacrer en plus du temps à l’activité sportive. On lui pardonnera aisément ce petit ventre de l’éternel assis; celui de l’intellectuel, du workaholic, de l’ambitieux qui se consacre trop à sa tâche pour entraîner son corps. Après tout, un corps peu athlétique sera vite compensé par quelques réalisations et un brin d’entregent. Mais peut-on en dire autant pour les femmes? Celle qui a accumulé des kilos en trop bénéficiera-t-elle de la même indulgence? On trouvera sans doute bien des gens pour répondre que «oui, oui, voyons!» Mais permettez-moi d’en douter. Une forme physique médiocre – et ses manifestations corporelles – font l’objet d’un jugement plus dur, chez les femmes. Car non seulement on tend à imposer, même aux plus brillantes et accomplies, le double-standard beauté/performance, mais tout symptôme de négligence physique est davantage perçu comme une lâcheté, un manque de volonté, une tare… La femme qui ne réussit pas à maintenir une taille 4 sera invariablement celle qui a échoué à remplir l’ensemble des critères impitoyables du forfait have-it-all. Et s’en contrefoutre est plus difficile à dire qu’à faire réellement; considérant qu’on peut à peine faire un coin de rue sans être confrontée aux standards esthétiques fascistes véhiculés par la culture de masse.
Soulignons par ailleurs un paradoxe. D’une part, c’est à l’homme qu’on attribue spontanément la «vertu sportive», mais c’est pourtant la femme qui semble faire l’objet de toutes les culpabilisations lorsqu’elle néglige de faire de l’activité physique. C’est donc plus d’elle qu’on s’attendra à ce qu’elle s’évertue à maintenir un corps tout en tonus. D’autre part, on exige aussi d’elle que le fasse élégamment. Dans l’idéal, la femme doit présenter un corps athlétique; mais le processus pour l’obtenir – et ce qu’il implique d’efforts, de sueurs, de cris et de coups – doit être caché, inexistant. Seul le résultat importe, pour le look. Le moment de défoulement, de puissance qui naît forcément de l’exercice du corps est ignoré, voire réprimé, puisqu’après tout, il ne cadre pas dans l’imaginaire de la féminité.
En d’autres mots, le corps féminin parfaitement apte et sculpté, résultant d’un entraînement physique assidu, n’est appréciable que lorsqu’il est immobile. Il ne sert à rien d’autre qu’à être regardé, désiré; tel un objet. Cette confiscation du sentiment d’empowerment qui naît de l’usage du corps «à fond la caisse» m’apparaît injuste et frustrante. Or, This Girl Can nous invite à subvertir ce raisonnement. Soudainement, nous dit-on, le moment de liberté, de laisser-aller, de défoulement est plus important que le paraître ou la performance. Et c’est un discours rare. En cela, on peut franchement saluer l’initiative.