Alors que ce mouvement de conscientisation semblait s’estomper, nombreux sont ceux qui ont exprimé le vœu qu’il soit porté plus loin que les réseaux sociaux et les médias traditionnels. En réponse aux demandes répétées en ce sens, le gouvernement a finalement annoncé, le 25 novembre dernier, la tenue d’une commission parlementaire suivie d’un forum itinérant sur les agressions à caractère sexuel.
Nous ne pouvons que saluer cette décision. Néanmoins, vu l’indifférence totale dans laquelle cette annonce semble avoir été reçue, et vu la très faible couverture médiatique engendrée, nous nous devons d’affirmer avec vigueur la pressante nécessité non seulement de cette initiative, mais encore que celle-ci soit menée à bien, avec sérieux et rigueur. À cette fin, nous tenterons d’illustrer les éléments à la base de ce constat, de répondre à certaines critiques opposées au mouvement, pour finalement donner un aperçu de la forme souhaitable d’une éventuelle consultation publique. Nous espérons ardemment que ce forum ouvre la voie à des solutions concrètes, pas qu’il s’achève en simple exercice de soulagement de conscience collectif.
Le mouvement de dénonciations publiques des agressions sexuelles, à la base de cette entreprise, témoigne d’un manque de confiance flagrant envers les institutions en place. À cet égard, une récente étude du gouvernement fédéral nous révélait que « 53 % des participantes ont dit ne pas faire confiance à la police » et que « les deux tiers ont dit ne pas faire confiance au processus de justice pénale et au système de justice criminel en général. » Ce désaveu cinglant a également été souligné de manière pour le moins controversée par les récents évènements ayant troublé la communauté universitaire de l’UQAM.
Pire, ce sentiment serait justifié selon une étude publiée en 2000 par Danielle Laberge et Sonia Gauthier, s’intéressant plus spécifiquement aux cas de violence conjugale. L’étude souligne le manque de volonté des gouvernements dans la recherche de solutions efficaces, le faible intérêt que cela semble susciter chez les acteurs judiciaires ainsi que l’idée vraisemblablement répandue en leur sein que ce phénomène ne serait pas extrêmement sérieux. Les intervenants pénaux en seraient venus à ressentir « l’impression de perdre leur temps avec des victimes qui refusent d’être aidées ». Dans ce contexte, le récent mouvement de dénonciation devenait nécessaire pour déconstruire cette culture.
Présomption d’innocence
Les détracteurs de ce mouvement ont tôt fait de clamer haut et fort le péril qui guettait le principe sacré de la présomption d’innocence pour condamner les dénonciatrices. Or, cette conception absolutiste de la présomption d’innocence, celle qui repousse du revers de la main les accusations et les dénonciations parce que vues comme trop stigmatisantes, résulte en la plus flagrante dénaturation de ce principe. Sous le couvert de cette version tronquée d’un fondement de notre système judiciaire, on en vient à faire violence à la victime. On la traite de menteuse, on décourage l’expression de son témoignage et on offre un bouclier à son agresseur. Comment peut-on justifier cette violence sociale envers les victimes d’agressions sexuelle? Croit-on réellement que prévenir les conséquences d’une fausse accusation justifie de décourager les 90 % de victimes qui ne dénonceront jamais leur agresseur? On ne peut pas justifier une violence par la prévention d’une autre lorsqu’une avenue différente est possible.
Le recours à la présomption d’innocence n’a de sens que lorsqu’elle permettra de mettre en contraste les versions de la dénonciatrice et de l’accusé. Elle prévient l’imposition d’un stigmate avant que chacun ait eu l’opportunité de faire valoir sa version des faits. En ce sens, la dénonciatrice ne doit pas être rabrouée. Au contraire, il faut alors ouvrir un dialogue à la recherche de la vérité. Plutôt que de désapprouver les dénonciatrices, les détracteurs de ce mouvement devraient exiger de la police qu’elle déclenche des enquêtes en cas d’allégations publiques sérieuses sans attendre une plainte formelle. Un tel procédé servira à la fois la victime et protégera la présomption d’innocence par la même quête de la vérité.
Commission parlementaire et forum itinérant
Nous devons profiter de la conjoncture actuelle pour sortir ce mouvement de dénonciation des réseaux sociaux, le porter aux oreilles de nos institutions et solliciter des témoignages provenant toutes les tranches et les générations de la population, pas seulement celles connectées sur Facebook et Twitter. À cet égard, l’annonce de la ministre Vallée sur la tenue d’une commission est à priori une nouvelle réjouissante, mais encore reste-il à voir quelle forme prendra cette consultation.
Nous nous permettons donc de tracer ici les grandes lignes qui, selon nous, devraient guider un tel processus de réflexion. À l’image de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, cette consultation publique devrait recueillir tant des témoignages sur l’expérience personnelle de victimes et d’intervenants que des propositions de réforme venant des différents groupes de défense des droits, chercheurs universitaires, etc. Le but premier serait évidemment de mobiliser tous les acteurs concernés afin d’en arriver à une solution concertée, pouvant réalistement être implantée.
Le rapport final devrait donc suggérer, entre autres choses, un nouveau processus d’enquête interne aux organismes gouvernementaux et entreprises privées. Il devrait aussi contenir des modifications à apporter à la procédure et l’attitude actuelle de la police et des acteurs judiciaires face à cette problématique. Au-delà d’un rapport final visant des avancées concrètes, le processus de témoignage sensibilisera la population à l’ampleur du problème largement incompris et toléré pour l’instant. Réalise-t-on qu’une femme sur trois a été victime d’agression sexuelle?
Cette indignation collective s’est formée en réponse à l’incapacité de nos institutions actuelles à inspirer la confiance des victimes. Malgré qu’une frange de la population soit maintenant sensible à cette problématique, les acteurs judiciaires n’ont exprimé aucune volonté de modifier leur pratique. Une consultation publique efficace se devrait de détailler et renforcer la discussion de manière à perméabiliser nos institutions au changement.
Pour que ce mouvement d’indignation sans précédent ne soit pas qu’une tempête dans un verre d’eau. Pour que cette indispensable réflexion ne s’essouffle pas sans laisser de traces. Portons ce mouvement, plus loin que les réseaux sociaux et les médias traditionnels, par une réelle consultation publique.