Située sur un territoire grand comme la Belgique, La Tuque a recruté un ingénieur forestier pour diversifier son économie.« Je suis le chef d’orchestre qui fait en sorte, par tous les moyens possible, que la biomasse présente sur le territoire puisse être exploitée à son plein potentiel afin de créer des emplois et des retombées économiques chez nous », dit Patrice Bergeron, responsable de la diversification économique à La Tuque. « À l’heure actuelle, on est encore au point zéro », ajoute-t-il. Pourtant, le gouvernement du Québec estime qu’environ 650 000 tonnes de biomasse forestière se perdent chaque année sur son territoire uniquement.
Une délégation québécoise a visité une bioraffinerie en Finlande, à l’automne. « Là-bas, les investissements sont considérables, on parle de 175 millions d’euros, affirme M. Bergeron. Nous, on a beaucoup de retard, car ici, les coups de l’énergie sont très bas. Cela freine le développement de cette filière. Pourtant, on va avoir besoin de cette ressource un jour, poursuit l’ingénieur forestier. Les énergies fossiles s’épuisent tranquillement. » Selon lui, la biomasse forestière va être de plus en plus valorisée à travers le monde.
Le défi du transport
« Il y a un grand potentiel pour des projets de bioénergie. Le problème, dans une région aussi vaste, c’est le transport de la biomasse vers le centre de combustion », dit M. Bergeron. Des études ont démontré qu’il n’était pas viable de la transporter au-delà d’un rayon de 50 km. Des chercheurs ont alors imaginé un pyrolyseur mobile qui transformerait sur place les résidus de bois en huile pyrolytique (un équivalent du mazout), en biocharbon et en gaz. « En traitant directement cette ressource sur le terrain, en y retirant l’eau et l’air, on peut réussir à la rendre accessible et rentable économiquement », indique M. Bergeron.
Pour l’instant, le rendement n’est pas connu. « Ce que l’on sait, c’est que la densification énergétique sera de un pour sept. Nous transporterons un mètre cube d’huile au lieu de transporter sept mètres cubes de bois », avance Patrice Mangin, professeur au département de chimie, biochimie et physique de l’UQTR et responsable du projet.
Un prototype de pyrolyseur mobile est en construction à l’Université de Western Ontario. Il sera livré à La Tuque au printemps. Après une période de tests, qui se fera dans la forêt de l’école forestière de La Tuque, un modèle sera commercialisé. La ville pourrait rapidement se doter d’une flotte de pyrolyseurs répartis un peu partout sur son territoire et d’un ou deux gros pyrolyseurs fixes aux alentours de La Tuque et du village de Parent. Ils seraient opérationnels huit mois par année.
Ouvrir une bioraffinerie
L’aboutissement du projet, c’est la construction par La Tuque de la première bioraffinerie au Canada d’ici 2023 et l’autosuffisance énergétique de la municipalité. L’usine transformera l’huile pyrolytique ou le biocharbon en une multitude de produits à valeur ajoutée, tels que du biodiesel, de l’éthanol, du méthanol, etc. « L’huile sera d’abord brûlée dans une des chaudières de la papetière du coin pour générer de l’énergie. Lorsque la bioraffinerie sera construite, on transformera l’huile à nouveau pour en faire du biocarburant qui servira aux véhicules forestiers », explique Simon Barnabé, professeur au département de chimie, biochimie et physique de l’UQTR.
L’équipe de chercheurs entend donner le plus de valeur ajoutée possible à l’huile. « Si on peut la transformer en une molécule quelconque qui attirera une entreprise sur le territoire, ce serait super », déclare M. Barnabé. Le biocharbon pourra servir de fertilisant, voire de décontaminant. Au total, la valorisation de la biomasse à La Tuque nécessitera des millions de dollars d’investissement. Mais elle promet, en contrepartie, de créer des centaines d’emplois. « Le pyrolyseur sera développé pour nos conditions forestières. Mais il pourra aussi transformer la biomasse ailleurs au Canada ou dans le monde », conclut M. Bergeron.