Si Bergeron a accepté l’offre de Denis Coderre de siéger à ses côtés, c’est parce qu’il avait lui-même entrepris des démarches auprès du maire pour le convaincre de la nécessité du projet de SLR dans le corridor du nouveau pont Champlain, démarches qui ont irrité le caucus au point où l’éjection du leader semblait de plus en plus probable. Ainsi, en contrepartie de la responsabilité du développement du centre-ville – avec le SLR en tête de liste –, l’urbaniste de formation devra se montrer solidaire des décisions de l’administration. Ou avaler des couleuvres, selon le point de vue.

Et ce ne sont pas des couleuvres de petit calibre. Contre toute attente, Bergeron doit consentir au projet de prolongement de l’autoroute 19, lui pourtant considéré comme un farouche opposant de l’automobile. Plus encore, il se montre ouvert au développement de stationnements étagés au centre-ville, alors que le programme de son ancien parti vise l’inverse.

Contre toute attente, Bergeron doit consentir au projet de prolongement de l’autoroute 19, lui pourtant considéré comme un farouche opposant de l’automobile.

Bergeron a aussi dû voter en faveur du budget municipal, qui entérine la réforme du financement des arrondissements qu’il a pourtant décriée sans ambages au moment de l’annonce l’été dernier, dans les médias comme dans les instances politiques. Il était même allé jusqu’à comparer Coderre à Rob Ford et à oser une déclaration qui se colore aujourd’hui d’une délicieuse ironie : « Cette réforme, présentée comme étant technique, c’est de la petite politique: faire payer ceux qui n’ont pas voté du bon bord et récompenser ceux qui ont voté du bon bord. »

Une bonne nouvelle… pour tout le monde

Il serait certes facile de conclure que Richard Bergeron a prêté un peu trop l’oreille au chant des sirènes du pouvoir, mais, en vérité, il sera le seul à devoir rationaliser ces nouvelles contradictions. Laissons-le avec sa conscience et tentons de voir le portrait d’ensemble : cette défection est une bonne nouvelle pour tout le monde.

D’abord pour Bergeron lui-même, qui pourra profiter de ce poste pour faire avancer un projet qui lui est cher. Pour cet homme, les calculs politiques sont toujours arrivés au deuxième rang, derrière les questions de développement et d’aménagement urbain. Bien que son carré de sable soit moins grand que s’il avait été maire de Montréal, voilà une belle façon pour lui d’achever une carrière politique pour le moins colorée.

Ensuite pour Denis Coderre, qui s’associe à un homme d’expérience en matière d’urbanisme, chose qui manquait cruellement à son équipe et, de manière générale, à la ville de Montréal. Il y a fort à parier que ce passage de Richard Bergeron à l’exécutif sera plus long que le précédent, sous Gérald Tremblay, qui s’était terminé par un conflit au sujet du projet de l’échangeur Turcot. Maintenant que Bergeron n’a plus d’attaches partisanes, il sera facile pour Coderre de garder sa recrue sous contrôle. Cela a déjà commencé : le nouveau venu déclarait, au sujet du dernier budget municipal, qu’il aurait fait de même et qu’il aurait même adopté des mesures encore plus « brusques ».

À l’interne, cependant, plusieurs ont poussé un soupir de soulagement.

La meilleure nouvelle demeure pour Projet Montréal. Publiquement, le parti a limité sa réaction à souhaiter bonne chance à son ancien chef dans ses nouvelles fonctions. À l’interne, cependant, plusieurs ont poussé un soupir de soulagement. Le chef était un double boulet : médiatique, à cause de son manque de charisme et de déclarations parfois malheureuses, et politique, à cause de son manque de sensibilité aux questions d’ordre social.

Il s’agit d’une occasion parfaite de renouveler le discours du parti et d’aller chercher la part de l’électorat qui n’a pas voulu opter pour Bergeron en 2013. Aussi surprenant que cela puisse paraître, nombre de progressistes ont préféré aller vers la Coalition Montréal de Marcel Côté ou le Vrai Changement de Mélanie Joly, le premier parce qu’il s’est adjoint Louise Harel, figure dont l’aura « sociale » survivait toujours pour certaines personnes, et la seconde parce qu’elle entretenait un discours anti-establishment suffisamment flou pour que n’importe qui (ou presque) en soif de « vrai changement » puisse s’y reconnaître.

En sautant sur cette occasion, Projet Montréal pourrait en faire profiter l’ensemble de la ville de Montréal et des personnes qui l’habitent… dans la mesure où le parti se présente aux élections de 2017 avec une posture avantageuse et rassembleuse. Entretemps, néanmoins, d’autres combats doivent être menés.

Les nerfs de la guerre

Il fallait voir Luc Ferrandez enflammer la foule de Projet Montréal réunie au Théâtre Corona le soir des élections du 3 novembre 2013 pour comprendre pourquoi c’est le choix qui s’imposait pour prendre l’intérim de Richard Bergeron. Le verbe acéré, la voix forte et enthousiasmante, la passion qui transperce l’air sont des qualités qui se font rares en politique. Ferrandez est un homme populaire dans son parti. Il saura fouetter le moral des troupes.

Le verbe acéré, la voix forte et enthousiasmante, la passion qui transperce l’air sont des qualités qui se font rares en politique.

Le chef intérimaire a annoncé d’emblée que son principal combat serait celui contre la réforme du financement des arrondissements, et il a la réputation d’être un homme de parole, pour le meilleur et pour le pire, contre vents et marées. À défaut de gagner cette bataille – la force du nombre se trouve plutôt du côté de l’administration –, il aura l’occasion d’utiliser toutes ses ressources pour défendre une cause qui déborde les frontières du Plateau Mont-Royal. Saura-t-il se trouver une stature de maire en attente? Le temps le dira.

Toutefois, ce n’est qu’un intérim, et tôt ou tard le parti devra choisir la figure de proue qui sera de toutes les pancartes en 2017. Ferrandez a déclaré qu’il songerait à se présenter. Mais il souffre, lui aussi, d’un problème d’image lié à son projet d’amoindrir la prépondérance de l’automobile dans les décisions d’aménagement urbain.

Dans tous les cas, la personne choisie devra travailler avec ardeur à la consolidation de Projet Montréal, surtout dans les arrondissements correspondant aux anciennes villes de banlieue, qui ont voté massivement pour Denis Coderre et où le parti est presque absent. Ce sera l’occasion de mettre en application l’idée que le programme du parti s’adapte aux réalités locales, idée souvent évoquée mais peu illustrée en-dehors des arrondissements où Projet Montréal détient le pouvoir. Oui, Lachine ne serait pas transformée en Plateau, mais qu’est-ce à dire?

Si il s’avère difficile ou impossible de nettoyer Ferrandez de sa réputation de croisé anti-automobile, le parti devra trouver une tête d’affiche à l’extérieur de ses rangs. Il ne manque pas de candidatures potentielles à Québec et à Ottawa. Mais cette personne devra aussi contempler l’idée d’un passage de quatre ans dans l’opposition: la résilience de Coderre et le retour au bipartisme municipal seront les plus grands obstacles dans le chemin qui sépare Projet Montréal de la mairie.