Le hic, c’est qu’un mouvement social comme Idle No More, ce n’est pas un bébé de deux ans qui apprend à parler. C’est un groupe de gens qui s’unissent pour s’exprimer sur diverses situations qui, justement, les frustrent et dont ils ressentent le besoin de s’affranchir. Mais le parallèle est tout de même attachant, car on l’aime, notre mouvement.
Et la lumière fut
Le 10 décembre 2012, un mouvement voit le jour dans l’Ouest. On voit naître la mobilisation, issue de quatre femmes de la Saskatchewan: Nina Wilson, Sheelah McLean, Sylvia McAdam et Jessica Gordon. Les Premières Nations se lèvent un peu partout à travers le Canada. On veut en être, car dans le fond, on en est déjà. Idle No More doit résonner au Québec aussi, malgré la barrière de la langue.
Moi – On devrait organiser un truc.
Widia – Oui, on est plusieurs à vouloir faire de quoi. On devrait peut-être commencer par faire une page ou un groupe Facebook Idle No More Québec bilingue. Qu’est-ce que t’en penses? Je peux demander aux organisateurs s’ils acceptent. Ou as-tu d’autres idées?
Une page et un groupe Facebook, un compte Twitter. Depuis, 7325 messages Facebook, sans compter les messages et conversations de groupe avec les autres organisateurs. C’est trois fois plus de conversations que la somme de celles que j’ai eues avec mon conjoint pendant 10 ans (désolée, chéri…). On s’est organisé, consulté, soutenu et encouragé. Et on en a eu besoin, d’encouragements. Ils sont souvent venus de nos alliés, de nos amis, nos familles… Si un mouvement est comme un enfant de deux ans, il grandit bien entouré d’amour, de bienveillance et d’appuis. Ça prend un village pour élever un enfant.
On a mis quelqu’un au monde, on devrait peut-être l’écouter
Après deux ans, un petit bilan s’impose. Au premier anniversaire, nous étions tout simplement heureuses d’être encore là. Deux ans plus tard, on commence à voir les fruits du labeur émerger. La première année, nous voulions être entendus, nous voulions émerger de la zone sombre dont les peuples autochtones émergeaient seulement quand une route ou un pont se bloquait. Il en fallait du courage pour faire entendre les voix issues de la mobilisation d’Oka ou du Plan Nord. Mais ces voix devaient déployer des sommes astronomiques d’énergie pour se faire entendre et, surtout, pour se faire entendre correctement. Il restait un problème entre autochtones et non-autochtones: nous parlons la même langue, mais pas tout à fait. Et cette problématique existe encore, même entre groupes autochtones.
La mobilisation de 2012 a permis aux Premiers Peuples d’utiliser les médias sociaux et de contourner les grands médias traditionnels. Nous avons choisi le message et comment il se présentait. Plus question de recevoir la nouvelle par un canal unique comme en 1990. Je dirais qu’en deux ans, le principal changement que je peux observer, c’est le traitement des articles sur les autochtones par les grands médias, même si beaucoup de travail reste à faire.
Quand, le 27 décembre 2012, le premier article francophone est apparu sur Idle No More, on pouvait lire le titre «Les Indiens du Canada partent en guerre» (Le Figaro, France). On a eu droit au silence radio des médias québécois, mais on a continué à chercher à se faire entendre, et les médias ont commencé à écouter, le 9 janvier 2013: «Idle No More – Les plumes rouges sortent dans la rue» (Le Devoir). Les titres ont changé, les termes ont évolué, et les peuples autochtones se font entendre quand on ne les représente pas adéquatement dans ces grands médias.
Le changement est bien présent. Un changement qui a été rapide, efficace et inclusif chez les médias indépendants et un peu plus lent à venir chez les autres. Mais maintenant, on peut quand même compter sur CBC Aboriginal. Il y avait pourtant plusieurs voix médiatiques avant l’arrivée d’Idle No More: APTN, Aboriginal Voice, Windspeaker, The Nation, Eastern Door…
Never been Idle! On fait quoi là?
Le seul problème de mon analogie des «Terrible two’s», c’est qu’elle vient avec l’idée que nous sommes nés il y a deux ans. Que nous avons appris à parler au cours de ces deux ans. Que nous sommes sortis de la noirceur, que nous sommes comme des étoiles sorties d’un «big bang» cosmique, inexistantes auparavant.
Une des phrases que j’ai entendues souvent au cours des deux dernières années: «Idle No More? I have never been Idle!» (Fini l’inertie? Je n’ai jamais été inerte!) Cette phrase ne saurait être plus vraie. Ce n’est pas parce que le système colonisateur a ignoré l’apport, les connaissances, les cultures, la politique, la mobilisation autochtone, qu’ils n’en ont pas moins existé, depuis les premiers contacts.
Peut-être que dans le fond, ce terrible deux ans que nous célébrons, ce n’est pas l’évolution d’un mouvement autochtone, mais l’évolution d’une mouvance de la relation entre autochtones et non-autochtones…
Alors si notre relation est un enfant de deux ans, on pourrait suivre les conseils de pédiatres:
«Gardez à l’esprit que les enfants de deux ans subissent des changements moteurs, intellectuels, sociaux, émotionnels majeurs. Ils ne sont toujours pas en mesure de se déplacer aussi rapidement qu’ils le voudraient, de communiquer clairement leurs besoins ou de contrôler leurs sentiments. Cela peut conduire à de la frustration et à des débordements. Vous aurez l’occasion de perdre patience l’un envers l’autre. Restez calme, utilisez la redirection ou l’humour. En acceptant les changements que votre enfant vit, et en lui montrant l’amour et le respect, vous aiderez votre enfant à passer au travers de cette étape difficile avec confiance.»
Alors on se reparle l’an prochain pour les trois ans. En attendant, vous pourrez suivre la progression de ce mouvement dans les médias, grâce au mot-clic #IdleNoMore.