Au-delà du décès des deux assaillants, ces deux cas recèlent plusieurs points communs qui tiennent surtout à la radicalisation de leurs auteurs et au rattachement de leurs actes à la mouvance djihadiste internationale. Dans le même temps, de nombreuses questions sont apparues au sujet de l’équilibre psychologique des deux hommes ainsi que sur la réalité de leurs liens avec des réseaux terroristes opérationnels.

Le poids des troubles mentaux dans le passage à l’acte criminel

Si Martin Couture-Rouleau a dit, lors d’un appel passé au 911, « agir au nom d’Allah », on ne connaît pas avec exactitude les motivations de Michael Zehaf-Bibeau exprimées dans une vidéo dont la GRC retarde la diffusion après avoir pourtant souhaité la rendre publique. Dans une récente intervention devant un comité du Sénat, le directeur du Service de police de la Ville de Montréal, Marc Parent, expliquait qu’environ 40% des individus impliqués dans des dossiers de terrorisme avaient des problèmes de santé mentale, ce qui sous-entend que le terrorisme moderne ne peut être totalement délié de cette question.

Ceci vient alimenter le débat sur la façon dont on doit qualifier ces actes, qui sont pour certains à classer entièrement dans la catégorie du terrorisme et, pour d’autres, dans le domaine des actes de déséquilibrés qui trouvent leurs sources dans un climat social ou un contexte général. On se souvient en effet comment les meurtres de Marc Lépine à Polytechnique le 6 décembre 1989 ont été vite classés dans la case maladie mentale ou comment la notion d’acte de terrorisme a été évacuée de l’attaque menée par Richard Henry Bain au Métropolis le 4 septembre 2012 en pointant plutôt l’acte d’un déséquilibré.

On se souvient en effet comment les meurtres de Marc Lépine à Polytechnique le 6 décembre 1989 ont été vite classés dans la case maladie mentale ou comment la notion d’acte de terrorisme a été évacuée de l’attaque menée par Richard Henry Bain au Métropolis le 4 septembre 2012 en pointant plutôt l’acte d’un déséquilibré.

Pour Samuel Tanner, directeur adjoint du Centre international de criminologie comparée et professeur adjoint à l’école de criminologie de l’Université de Montréal, « la manière dont les actes ont été cadrés politiquement et médiatiquement est déterminante dans la façon dont le public va les comprendre ». Insistant sur le fait qu’il est difficile d’apporter une réponse précise aux motivations de Martin Couture-Rouleau et de Michael Zehaf-Bibeau, il ajoute que « la lecture que les auteurs ont faite de leurs propres actes reste une simple spéculation puisque les deux hommes sont morts ».

Définir le terrorisme

L’acte de terrorisme est l’un des rares faits criminels qui soient définis autant par les motivations de leurs auteurs que par la nature des actes perpétrés. Ainsi, pour Jacques Beauchemin, professeur de sociologie à l’UQAM, « la question des personnalités troublées ou pas est un faux débat » dans la façon de caractériser ces gestes. Pour le sociologue, il conviendrait de définir un acte de terrorisme en tant « qu’acte qui terrorise et dont l’auteur a dans l’idée qu’il porte en lui une possible reproduction du geste posé, qui s’inscrit dans une idéologie plus grande que lui », sans oublier que ce sont des éléments légaux qui qualifient les actes criminels pour la catégorie du terrorisme, on peut s’interroger sur le fait que d’autres actes violents comme ceux perpétrés par Justin Bourque le 4 juin dernier, Richard Henry Bain en septembre 2012 ou encore Marc Lépine en décembre 1989 n’aient pas été eux aussi rangés dans la catégorie des actes de terrorisme tant ils se rapprochent de la définition donnée par le sociologue.

D’un point de vue purement technique, on constate que ces actes sont, au-delà des motivations des auteurs, différents de ceux de Martin Couture-Rouleau et de Michael Zehaf-Bibeau parce qu’ils ne sont pas liés à une organisation ou mouvance supranationale. Il est intéressant de s’attarder sur ce fait: les trois actes qui ne trouvent pas d’inspiration « étrangère » n’ont pas été définis en tant qu’actes de terrorisme, tandis qu’à l’inverse, ceux commis par des individus qui se revendiquent d’une mouvance internationale sont entrés dans ce genre. La qualification d’acte de terrorisme pour les actions de Bourque, Bain et Lépine peut-elle avoir été écartée sur cette seule base? Pour Samuel Tanner, la question de la dimension domestique est pertinente, mais il est difficile de dire si elle a été déterminante tant il est possible que d’autres paramètres puissent entrer en ligne de compte.

Le terroriste, un interlocuteur qui dérange

On comprend que le terrorisme, par sa vocation à vouloir modifier les conditions du débat social ou politique, place souvent les gouvernements dans des situations inconfortables. Si les actes dirigés depuis l’extérieur conduisent plutôt à une union sacrée contre l’épouvantail du terrorisme international, ceux qui naissent, se décident et se justifient à l’intérieur de nos frontières sont propres à instiller une division sociale qui inquiète plus les autorités et conduit souvent à nier la nature profonde des faits. On peut ainsi comprendre que les autorités soient tentées de réfuter tout caractère terroriste à un certain type de démarche criminelle comme celle de Bourque, Bain ou Lépine qui interpelle nos sociétés sur leurs failles les plus intimes.

On comprend que le terrorisme, par sa vocation à vouloir modifier les conditions du débat social ou politique, place souvent les gouvernements dans des situations inconfortables.

Ainsi, à la question « Marc Lépine serait-il qualifié de terroriste s’il commettait son acte aujourd’hui? », Jacques Beauchemin répond oui sans hésiter. Et d’ajouter: « Je qualifierais Marc Lépine de terroriste, car il avait une cible définie sociologiquement, qui est le groupe des femmes, et qu’il y avait une idéologie qui sous-tendait son geste. Il voulait terroriser et devait certainement espérer que son action continuerait après lui. » Si, il y a 25 ans, Marc Lépine avait été considéré comme un terroriste, on imagine que le débat de société aurait été profondément modifié par le prisme de l’attentat. Et il en aurait été certainement de même pour les revendications de Richard Henry Bain car, comme le rappelle Jacques Beauchemin, « dès l’instant où le mot terrorisme est nommé, il est impossible de revenir en arrière ».

Stéphane Berthomet