Un pari réussi
Par ce samedi froid, mais ensoleillé, 100 000 citoyens et citoyennes ont pris la rue à Montréal, tandis que 25 000 personnes manifestaient aussi à Québec. Les organisateurs se sont dits très heureux d’avoir remporté le pari de la mobilisation, pour ce rassemblement attendu depuis plusieurs mois. À Montréal, la foule a pris plus d’une heure pour libérer complètement la Place du Canada, à pas de fourmi.
Dans une déclaration commune, les organisations syndicales, étudiantes, féministes, écologistes et communautaires de la Coalition Refusons l’austérité ont dénoncé le « démantèlement de l’État social » et exigé « un gouvernement d’abord au service de la population et non des grandes compagnies ».
Appel à la désobéissance
À la fin de la manifestation, les porte-paroles des diverses organisations ont enflammé la foule par de nombreux discours, alternant entre Québec et Montréal grâce à une retransmission simultanée diffusée sur écrans géants. Ils étaient plusieurs sur la scène à multiplier les appels à « résister » à l’austérité. Alexa Conradi, présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), a clos son allocution en lançant : « Non à l’austérité, oui à la désobéissance! »
Loin de croire pouvoir faire reculer le gouvernement avec cette seule journée d’action, plusieurs opposants discutent de la possibilité d’une grève sociale. « C’est un débat qui va se faire à la CSN [Confédération des syndicats nationaux] », nous a confié Jacques Létourneau, président de la CSN. À la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) aussi, nous a confirmé sa présidente Louise Chabot.
Plusieurs travailleurs et travailleuses seraient ainsi prêts à déclencher une grève illégale, car non-conforme au Code du travail qui empêche tout débrayage en dehors de la période de négociation de la convention collective.
Claude Talbot, président du syndicat des employés du CHUM, défend cette idée de grève illégale : « Si on doit y aller avant que la convention ne soit échue, on va y aller, même si c’est une grève illégale. On est pris avec des lois qui nous empêchent de faire ce que l’on veut. Alors, à un moment donné, il faut passer par dessus ces lois. » M. Talbot dit être inspiré par le mouvement étudiant : « On a eu une bonne leçon avec les étudiants [lors de la grève de 2012]. Les étudiants nous ont montré c’était quoi se battre. »
Même son de cloche du côté du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) : « Dans nos rangs, les gens sont vraiment prêts. On discute de grève sociale. Donc, une grève qui est illégale, mais sociale pour que tout le monde se mette ensemble. La décision devrait se prendre au début janvier », a laissé savoir Jean-François Sylvestre, président de la région Montréal-Laval pour le SFPQ.
Une présence controversée
La présence de quelques députés du Parti québécois (PQ) a suscité des réactions mitigées parmi les manifestants et manifestantes. En entrevue au téléphone depuis Québec, Véronique Laflamme, porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), a souligné le caractère « ironique » de la participation du PQ, parti qui a lui aussi déposé un budget d’austérité quelques mois plus tôt lorsqu’il était au pouvoir. « On se rappelle très bien des coupures à l’aide sociale, du dégel du tarif patrimonial d’Hydro-Québec qui mène en ce moment à un nombre record de débranchements. On n’est pas dupes », explique-t-elle. Mme Conradi voit quant à elle d’un bon œil l’appui de l’opposition officielle dans la conjoncture, mais invite à une « réflexion pour remettre en question l’attachement des partis politiques au néolibéralisme ».
Rencontré en fin de manifestation, le député de la circonscription de Rosemont Jean-François Lisée a dénoncé la politique du gouvernement. « L’austérité, quand on fait que ça, on creuse, on creuse et tout ce qu’on trouve, c’est de la misère. » Pour répondre aux critiques adressées à son parti, il défend qu’il est possible « de faire du développement social, du développement économique en même temps qu’on remet nos finances en ordre », comme lors du « déficit zéro » de Lucien Bouchard en 1996.
Dans tous les cas, au rythme des mobilisations des dernières semaines, le mouvement d’opposition actuel ne semble pas être prêt à attendre les prochaines élections pour voir la fin des politiques d’austérité. Le gouvernement libéral, qui s’attendait à une manifestation « traditionnelle », pourrait bien être surpris de la tournure des évènements.