On y abordait sans ménagement ou rigueur intellectuelle huit grands thèmes (les municipalités, l’agriculture, les CPE, les étudiants internationaux, les services ambulanciers, les budgets discrétionnaires, le Programme de soutien à l’action communautaire et les écoles privées), laissant le gros de la santé et de l’éducation et les sociétés d’État pour juin. Puis, le lendemain, Martin Coiteux, président du Conseil du trésor, nous annonçait que la fonction publique allait aussi connaître de grands bouleversements. Ces deux événements économico-politiques ont été de ceux (comme la charte et la grève étudiante) qui m’ont gardée sur le bout de ma chaise, incapable de travailler sur autre chose que mon indignation. Cette fois, par contre, ma job me payait pour être fâchée et je n’allais pas m’en priver.
En même temps, on ne peut pas dire que l’analyse de la Commission est vraiment surprenante. Dès la nomination des commissaires, il était clair qu’on nous proposerait des réformes qui mettraient de l’avant une vision réductrice de la mission de l’État et une présence accrue du privé. Sous la présidence de Lucienne Robillard, ex-ministre libérale oubliable tant au fédéral qu’au provincial, on retrouve deux ex-hautes fonctionnaires vaguement anonymes ainsi que deux des économistes les plus orientés du Québec : Robert Gagné et Claude Montmarquette. On le sait, ils le savent, le gouvernement le sait : ils sont de ceux qui croient que l’État est boulimique, que le privé est le meilleur garant de prospérité et que la véritable justice sociale est de laisser les individus compétitionner entre eux pour atteindre leur plein potentiel. Ils sont probablement d’accord avec Margaret Thatcher. La société n’existe pas.
Cela dit, on peut toujours être naïf et croire que, même orientés, les gens peuvent être honnêtes intellectuellement. À la lecture du rapport préliminaire, par contre, il est difficile de maintenir cette générosité. Le document de 176 pages ressemble à un mauvais travail étudiant où on essaie de miser sur la forme pour faire oublier la minceur de l’argumentaire. La recette est simple : un tiers de pages blanches, des marges généreuses, des sauts de page aussi souvent qu’on le peut et plusieurs graphiques, les plus gros possible pour bien occuper l’espace. Surtout, ne pas surcharger le lecteur et la lectrice. Quant aux données, elles sont partielles, périmées ou juste carrément absentes. On garde celles qui nous conviennent et on exclut, à peine subtilement, toutes celles qui pourraient nuancer le propos. La comparaison avec l’Ontario est présente quand ça nous arrange, et absente quand c’est moins évident. Et, bien entendu, on préfère taire les choix de société ou les différences entre les programmes des deux provinces. Ça coûte cher ici (pourquoi? on ne le sait pas), ça coûte moins cher là-bas (pour des services ou des programmes comparables? allez savoir). Facile ensuite de justifier tout ce qu’ils veulent, puisqu’il ne reste plus rien de la réalité que ce qui leur convient pour nous convaincre.
Tirer (la fausse) alarme
Ensuite arrive le discours du ministre. Au fil des phrases creuses et des clichés politiques mille fois entendus, il nous explique que, bien voilà. On n’a plus le choix. On n’est plus au temps du dialogue social (qui a eu lieu quand, déjà?), il faut agir maintenant en bon père de famille pour que l’avenir de nos enfants ne soit pas volé par les banquiers de New York. Avant de frapper un mur, il faut se serrer la ceinture et arrêter de mettre sa tête dans le sable. Tout le monde doit mettre l’épaule à la roue et c’est la population qui l’exige même si le changement fait peur. C’est fini, vivre sur la carte de crédit de l’État. Cette fois, nous ne reculerons pas, nous allons prendre nos responsabilités et nous attaquer aux vaches sacrées. À la clé, l’État du XXIe siècle.
Pour y arriver, il annonce des coupes draconiennes, des pertes d’emplois importantes, un contrôle accru des dépenses du gouvernement par le bureau du Conseil du trésor et celui du premier ministre et un sabotage du rapport de force pour les négociations avec les employé•e•s du secteur public. Il faudrait peut-être lui dire que son projet fait très 1980…
À écouter Lucienne Robillard ou Martin Coiteux, on sort un peu sonné. L’heure semble si grave, la catastrophe, si proche. Pourtant, l’économie du Québec se redresse, l’état des finances publiques est bien meilleur qu’ailleurs, les déficits sont maîtrisés, le ratio dette/PIB diminue, les programmes sociaux sont populaires et efficaces… C’est à se demander si on parle bien du même endroit. Tout n’est pas parfait, bien entendu, mais tout n’est pas non plus un livre de comptes, avec les sommes dépensées et celles perçues. Il y a aussi quelque chose comme des choix de société, complètement absents de leurs argumentaires.
L’autre absent majeur, c’est le dialogue social. Les élections n’ont pas du tout porté sur ce saccage maintenant proposé. Au contraire, Philippe Couillard promettait de travailler de concert avec les partis de l’opposition pour mettre en place des politiques rassembleuses. Puis, ils ont découvert le gouffre sans fond et imprévisible qu’un gouvernement péquiste de 18 mois a pu laisser. Et maintenant, il ne nous reste qu’un forum Web pour suggérer des économies.
Comme il est majoritaire, le Parti libéral sera le porte-parole de nos désirs et ambitions, que nous sachions que nous les avons ou pas, pendant encore quatre ans. À Ottawa, les conservateurs travaillent depuis des années à restructurer l’État et notre rapport à l’État et ont bien réussi à changer le visage du Canada. À Québec, la même dynamique est en train de s’opérer, le côté conservateur social en moins. L’arrogance du gouvernement libéral n’a d’égal que notre impuissance à nous faire entendre, à les faire reconsidérer leur dérive idéologique.
Ils disent qu’ils ne reculeront pas. Qu’ils agissent selon la volonté de la population. Que nous vivons en démocratie et qu’ils sont le pouvoir représentatif du peuple. Voilà des affirmations des plus terrifiantes. Si, la démocratie, c’est abdiquer le droit de participer aux décisions politiques, économiques et sociales, et ne plus avoir moyen de se faire entendre entre les élections, il est temps de revoir la définition de la démocratie. Et il est temps de changer de système. D’ici là, c’est un peu notre devoir à tous et à toutes de rappeler à ceux et celles qui nous gouvernent que le peuple ne peut être réductible à leur majorité silencieuse inventée.