Pourtant, en octobre dernier, la présidente du Conseil du statut de la femme, Julie Miville-Dechêne, l’invitait, dans une lettre, à effectuer une analyse différenciée selon les sexes pour anticiper l’impact de la tarification des services de garde sur la présence des mères de jeunes enfants sur le marché du travail. Évidemment, ce ne fut pas fait. Malgré tout, hier, la ministre se disait toujours « convaincue » que la modulation du prix des garderies n’aurait « aucun impact » sur la présence des femmes sur le marché du travail.

Un regard plus attentif à la répartition des revenus au sein des ménages semble cependant indiquer le contraire.

Rappelons que c’est à compter d’un revenu brut de 50 000$ que les ménages devront débourser des frais additionnels. On estime que 70% des familles québécoises seront touchées par la nouvelle tarification. Or, dans un avis publié d’urgence la semaine dernière, le CSF soulignait que dans près du trois quart des familles où le revenu total est supérieur à 60 000$, la mère gagne moins que le père. Par ailleurs, plus les familles comptent d’enfants, plus l’écart tend à se creuser entre le revenu du père et celui de la mère.

C’est donc précisément au sein de ménages qui seront le plus touchés par la modulation des tarifs, vu leur revenu et/ou le nombre d’enfants, que les asymétries de revenus sont les plus marquées. Ainsi, dans un ménage comptant plusieurs enfants et gagnant en tout 100 000$, mais où la mère n’en gagne que 25 000$, force est d’admettre que si la facture de la garderie gobe en bout de ligne le tiers, voire le quart de son salaire, cela l’incitera à rester à la maison, finalement.

Lorsque la ministre prétexte que dans 60% des familles, la contribution ne dépassera pas 9$ par jour, et qu’aucune femme ne sera renvoyée à la maison « pour un dollar», elle oublie que les revenus ne sont pas répartis également au sein des ménages. Elle oublie qu’une hausse de la facture des frais de garde pèse directement sur le conjoint qui a un revenu plus modeste. Elle oublie que dans 70% des ménages québécois, c’est la femme gagne moins que l’homme. Elle oublie aussi que la plupart des couples finissent par se séparer, et que la plupart des couples vivent en union libre. Elle oublie que sous, le couvert d’une tarification « plus juste », on contribue à reconduire les inégalités entre les sexes.

Mais non, mais non, persiste la ministre : « Personne ne va retourner à la maison pour un dollar». On ne risque pas un recul, et personne ne s’en prend pas aux femmes.

Hier, huit représentantes de groupes venant en aide aux femmes présentaient aux médias les événements organisés dans la foulée des 12 jours d’action annuels pour l’élimination de la violence envers les femmes. Elles en ont profité pour brosser un portrait des violences qui s’exercent encore sur les femmes, en 2014. Carolle Mathieu, de l’organisation R des centres de femmes du Québec, appelait à dénoncer l’austérité « comme une forme de violence contre les femmes ».

Or, si toutes les violences qui s’exercent contre les femmes ont en commun d’être pernicieuses et (surtout) invisibles, les violences économiques ont ceci de particulier qu’elles s’exercent souvent par « omission ».

Lorsqu’on ampute les services publics et les programmes de soutien, invoquant la nécessité, pour tous et chacun, de « faire sa part », on omet de préciser que toutes ces mesures n’ont pas un impact indifférencié selon le sexe. On omet le fait que les femmes sont d’emblées plus touchées par la pauvreté. Qu’elles sont plus souvent en situation de précarité ou de dépendance économique. Qu’elles gagnent un plus petit salaire. Qu’elles sont majoritairement celles qui élèvent des enfants seules.

En somme, on omet, comme d’habitude, la vulnérabilité particulière des femmes. Parce qu’au fond, on les aime mieux comme ça : vulnérables.
« Mais non, mais non, personne ne va retourner à la maison pour un dollar »…