« Notre rôle, c’est de publier, de révéler, de diffuser des informations d’intérêt public pour que les citoyens soient libres et aient de l’autonomie, pour qu’ils puissent décider en toute conscience de leurs actes, de leurs choix, de leur résistance. Notre première loyauté est à l’égard du public, et non pas des entrepreneurs, de ceux qui nous emploient, des pouvoirs publics, des puissances étatiques. Notre première obligation est à l’égard de la vérité », lance d’emblée Edwy Plenel dans son allocution.

Malgré le contexte médiatique difficile, ici comme ailleurs, l’ancien journaliste du Monde croit en l’avenir du journalisme. « Loin d’être sur une pente descendante, notre métier a plus d’avenir que jamais. Il est possible de créer de la valeur, de la richesse, des emplois, de la confiance en faisant simplement du journalisme. Sans autre recette que les contenus et des informations qui suscitent l’adhésion du lectorat. Cela peut marcher, sans publicités, sans mécènes, sans financement public », explique-t-il.

Insistant sur l’époque de bouleversements que nous vivons, autant sur le plan social, avec les crises politiques, économiques et écologiques, que sur le plan du journalisme, avec l’ère du numérique, Plenel précise : « Qui dit bouleversements dit champs de bataille. Nous devons être nous-mêmes au clair sur la façon dont nous livrons la bataille. Un champ de bataille entre le capital et le travail. Entre la servitude et la liberté. C’est cela que nous vivons. Et en ce sens, il n’y a pas de fatalité. Sauf si nous nous résignons. »

Pour lui, l’approfondissement démocratique doit être au cœur de la bataille professionnelle journalistique. « Tout ce qui est d’intérêt public doit être public. Cette bataille veut dire concrètement que le journalisme d’enquête n’est pas à la marge. Pour moi, il est au cœur de l’ordinaire de notre métier. Nous nous adressons à un public qui sait déjà beaucoup de choses, grâce aux réseaux sociaux et à internet. Donc remouliner ce que tout le monde sait ne crée plus de valeur. »

« Aussi bien dans les grandes affaires que dans les chroniques, nous devons être au rendez-vous de la plus-value, de la rareté, de la hiérarchie, de l’exclusivité, de la différence, de la distinction.

Le journalisme d’enquête, c’est véritablement le cheval de bataille de Plenel et de Mediapart. « Aussi bien dans les grandes affaires que dans les chroniques, nous devons être au rendez-vous de la plus-value, de la rareté, de la hiérarchie, de l’exclusivité, de la différence, de la distinction. C’est cela l’idéal du journalisme d’enquête. C’est apporter quelque chose qu’on ne savait pas, qu’on ne connaissait pas. Et qui fait en sorte que l’on va penser par soi-même. Là est le défi du journalisme. Produire des informations qui vont bousculer nos propres opinions. Qui vont nous amener à bouger, à faire mouvement, à nous mettre en cause. »

Le président et directeur de la publication chez Mediapart insiste également sur la notion de démocratie. « L’idéal démocratique, c’est le n’importe qui, sans privilèges de connaissances, d’origines, de pouvoir, de puissance financière. J’ai le droit de m’en mêler. Non seulement de voter, mais de m’exprimer, de participer, de débattre, voir d’être candidat, voir d’être élu. Ce n’importe qui suppose une information. Car comment l’exercer si je ne sais pas? » demande-t-il.

Pour lui, on ne peut pas se battre pour l’idéal de notre métier si on ne se bat pas sur ce terrain de l’idéal démocratique. Plenel croit qu il est du devoir des journalistes de montrer aux citoyens et citoyennes que nous pouvons recréer un lien de confiance parce que nous sommes au service de quelque chose qui ne nous appartient pas, qui leur appartient. « La liberté de presse n’est pas un privilège des journalistes, mais un droit des citoyens. Cela veut dire se battre pour ces vérités de faits, comme disait Hannah Arendt. »

il est du devoir des journalistes de montrer aux citoyens et citoyennes que nous pouvons recréer un lien de confiance parce que nous sommes au service de quelque chose qui ne nous appartient pas, qui leur appartient

L’aventure Mediapart

Créé en 2006 avec trois collègues de Plenel, François Bonnet, Gérard Desportes et Laurent Mauduit, le média web indépendant emploie aujourd’hui plus d’une centaine de journalistes. « Nous avons fait un prêt de 5 millions d’euros (7 millions de dollars) pour fonder Mediapart. Je rembourse 3000 euros (4200 dollars) par mois à ce jour pour éponger le prêt », confie le journaliste à la moustache célèbre. Le reste a été donné par une « société des amis de Mediapart » ainsi que quelques mécènes libéraux.

« Dès le départ, j’ai engagé 25 journalistes à temps plein, parce que je pensais que la seule façon d’y arriver était d’être viable et de se distinguer dans le contenu, en faisant de l’enquête, mais pour cela, il fallait du temps et des ressources », raconte Plenel en entrevue.

Mediapart a pris part à la dénonciation des plus gros scandales politiques et économiques français des dernières années, comme les affaires Cahuzac, Bettencourt ou Takieddine. En 2012, le site a rapporté 6 millions d’euros (8,4 millions de dollars) de chiffre d’affaires. Mediapart vit aujourd’hui uniquement du soutien du lectorat, sans publicités, sans subventions et sans mécènes. En septembre dernier, Mediapart a atteint le nombre de 100 000 abonnés. C’est donc dire qu’il y a de l’intérêt pour un journalisme d’enquête et de longue haleine. Ricochet s’y rendra-t-il un jour?

Extrait audio de notre rencontre avec Edwy Plenel