La raison de ce branle-bas de combat? La détermination du Parti libéral à régler pour de bon le gravissime « sous-financement chronique » des universités québécoises. Pourtant, il y a quelques jours, les mêmes libéraux annonçaient des coupures de 200 millions dans les universités. L’austérité ferait-elle disparaître des problèmes?
Au printemps 2012, le conflit étudiant déchire le Québec. Le 14 mai, lors de la conférence de presse faisant suite à la démission surprise de Line Beauchamp, Jean Charest déclare que le sous-financement des universités québécoises est « un enjeu majeur pour l’avenir de nos enfants et de toute la société québécoise ». Rien de moins! Déterminés à sauver le Québec d’un tel péril, les libéraux ont donc poursuivi leur bras de fer contre les étudiants, allant jusqu’à adopter une loi spéciale controversée, décriée quasi unanimement par la communauté juridique.
La semaine dernière, le successeur libéral de Line Beauchamp annonçait de nouvelles coupures de 31,6 millions dans les universités de la province. Au total, les compressions exigées par Yves Bolduc et Philippe Couillard dépassent donc maintenant les 200 millions de dollars. Résumons : deux ans après avoir plongé le Québec dans une des plus importantes crises politiques de son histoire pour nous sauver de la menace que représentait le sous-financement des universités, le PLQ ordonne la plus importante coupure dans leur financement depuis 30 ans. Que faut-il comprendre de ce brusque changement de cap?
Où sont passés les sonneurs d’alarme?
Ce qui est encore plus fascinant, c’est de constater la rapide conversion à l’austérité universitaire de ceux qui, depuis au moins une dizaine d’années et jusqu’à tout récemment, martelaient dans l’espace public la nécessité de refinancer massivement les institutions d’enseignement supérieur.
Prenons un seul exemple : en février 2010, Lucien Bouchard et une quinzaine de personnalités publient en grande pompe le Pacte pour un financement concurrentiel des universités. Le message est clair : « sans un renforcement substantiel du financement de nos universités, nous sommes convaincus que l’avenir économique du Québec est compromis », écrivent-ils. Les signataires, parmi lesquels figurent plusieurs des grandes figures de la droite québécoise (Claude Montmarquette, Monique-Jérôme Forget, Joseph Facal, Youri Chassin, etc) sonnent l’alarme et appellent à une mobilisation nationale pour les universités. Il faut les refinancer massivement et rapidement, car, écrivent-ils, « il en va de notre avenir comme société ». Ce fervent engagement pour les universités a motivé la plupart des signataires de ce pacte à s’engager activement contre la mobilisation de 2012.
Deux ans plus tard, alors que ces mêmes institutions font face aux plus importantes coupures depuis 30 ans, qu’est devenu leur « engagement résolu en faveur du renforcement de nos universités »? Où est passée l’indignation de la Chambre de commerce de Montréal et du Conseil du patronat, dont les présidents (toujours en fonction) avaient ratifié le pacte de 2010?
Que doit-on retenir de cette mystérieuse volte-face?
La leçon de cette histoire dépasse largement la question du financement des universités. En fait, cette volte-face rhétorique illustre clairement la construction typique du discours néolibéral et, par extension, rend bien compte de la véritable raison d’être des politiques d’austérité qui se multiplient à travers le monde depuis la récente crise financière. Procédons par étapes.
Dans un premier temps, si les gros canons du milieu des affaires s’alarmaient hier d’un apocalyptique sous-financement universitaire et qu’ils ne le font plus aujourd’hui, c’est parce que leur réel projet politique visait moins le refinancement des universités qu’une transformation de leur fonctionnement. Il s’agissait plutôt, comme l’affirmait lui-même Raymond Bachand, d’opérer une « révolution culturelle », c’est-à-dire de déconstruire le modèle de financement des services publics dont le gel des frais de scolarité était le symbole. Autrement dit, l’augmentation des frais de scolarité réclamée par la droite avait comme objectif principal le passage d’un financement des services publics par la fiscalité progressive à un financement en vertu du principe de « l’utilisateur-payeur ».
Dans un deuxième temps et de manière analogue, l’austérité vise moins l’atteinte de l’équilibre budgétaire qu’une transformation fondamentale de l’État et de ses services publics. En effet, la semaine dernière, Martin Coiteux le reconnaissait lui-même à demi-mot, en affirmant que sa révision des programmes visait un « repositionnement » de l’État québécois. Cet aveu du président du Conseil du Trésor montre bien que l’austérité du gouvernement Couillard s’inscrit dans la continuité de la « révolution culturelle » du gouvernement Charest. Dans les deux cas, il s’agit de redéfinir en profondeur les principes de l’intervention de l’État dans la société, pour les mettre au diapason des logiques de marché. Mesures de tarification et abandon des devoirs sociaux de l’État sont deux incarnations d’une même conception de l’État et de la société : le néolibéralisme.
La clé de l’énigme
Si la droite qui poussait hier de hauts cris est aujourd’hui silencieuse sur le sort des universités, c’est donc parce que l’augmentation des frais de scolarité visait moins le refinancement des universités que leur marchandisation. Et cet objectif n’est en rien incompatible avec la diminution du financement public des universités, bien au contraire. En cohérence avec leur conception étriquée de ces institutions, il ne faudrait pas s’étonner que les anciens chevaliers du « financement concurrentiel des universités » cherchent à profiter du contexte d’austérité – qu’ils ont eux-mêmes appelés de leurs vœux – pour réclamer un recours accru au financement privé de la recherche et de l’enseignement universitaire. La stratégie a déjà été utilisée ailleurs. Chez nos voisins du sud, c’est justement en s’appuyant sur la diminution du financement public que les universités ont justifié leur privatisation croissante.
Bref, loin d’être le signe d’une incohérence ou d’un oubli, le silence actuel du milieu des affaires au sujet du financement des universités s’explique par la convergence politique fondamentale entre l’austérité libérale (qu’il appuie ouvertement) et la conception de l’éducation supérieure à laquelle il adhère. Sa préoccupation est moins le financement de l’éducation supérieure que sa transformation marchande, tout comme ce qui importe réellement avec les mesures d’austérité est moins l’équilibre budgétaire que la reconstruction générale de l’État et des services publics en vertu des logiques de marché. Toute est dans toute.