Dans le contexte actuel, cet hommage revêt aussi un caractère symbolique. En écoutant la rediffusion de Macadam, j’ai été frappée de constater à quel point de tels espaces se font rares, au sein du petit écosystème médiatique québécois. Ces espaces où se rencontrent pertinence et éclectisme. Où on prend le temps de dire et faire les choses autrement, pour susciter des rencontres. Évidemment, sur les ondes de Radio-Canada, il y en a bien quelques-uns, encore. Mais je ne peux m’empêcher de me demander, non sans inquiétude : pour combien de temps? C’est aussi ce que je me demandais, en juin 2013, lorsqu’on faisait une croix sur Bande à part et ses 14 années à promouvoir la musique émergente et toute cette culture qui vit dans les marges. Je ne peux pas dire que mon inquiétude se soit dissipée depuis.
Des sous, il n’y en plus pour l’originalité, sur les ondes publiques. C’est à peine s’il y en a encore assez pour répondre au minimum de ce qu’on attend d’un diffuseur public. Les artisans de Radio-Canada ont la ceinture tellement serrée qu’ils peuvent à peine respirer. Pourtant, ils doivent continuer à faire plus pour répondre aux impératifs de l’impitoyable marché de l’information et du divertissement. Le diffuseur doit rester « compétitif », puisque, dans un contexte où on fait paraître son existence suspecte, c’est bien le seul moyen de la justifier. Mais lorsqu’on doit faire plus avec (dramatiquement) moins, quand on s’esquinte à garder l’embarcation à flots, il n’y a plus de temps ni d’espace pour l’audace, la créativité et la différence.
On parle souvent de la nécessité politique d’un diffuseur public en santé. Nous avons cruellement besoin, surtout dans un contexte où la concentration de la presse est aussi marquée, d’un lieu où l’information peut échapper à la partisanerie et aux diktats de la rentabilité. Il y a quelques semaines à Tout le monde en parle, Alain Saulnier, ancien directeur général de l’information de Radio-Canada, rappelait par ailleurs que l’on doit également s’inquiéter de la proximité entre l’État et la direction de Radio-Canada. Au-delà des ressources qu’on lui octroie, l’indépendance du diffuseur public est elle aussi essentielle à sa santé.
Mais en écoutant Macadam, pour y revenir, je me disais qu’en plus de tout ça, il y a autre chose. On parle assez peu du rôle du diffuseur public comme espace où s’articule, se développe et diffuse ce qui nous définit, collectivement. Je parlais plus haut de « rencontre ». C’est bien de ça dont il s’agit : Radio-Canada comme point de rendez-vous, où on prend le temps de réfléchir, de discuter et de partager nos sensibilités, indépendamment de la tyrannie des cotes d’écoute, des parts de marché et des succès aux palmarès. Une institution qui contribue à l’enracinement de la culture ; et pas juste celle qui fait vendre des disques, des billets de cinéma et des best-sellers. Un lieu où on reconnaît plutôt que la culture dépasse le divertissement. En cela, et n’en déplaisent à certains, Radio-Canada est aussi un espace de résistance ; à la pensée superficielle, à l’infotainment, à la démagogie, à l’homogénéisation des produits culturels.
C’est aussi ça qu’on risque de perdre, à travers le saccage de Radio-Canada : un des derniers bastions où, dans les médias traditionnels, la sensibilité, l’intelligence, l’éloquence et l’originalité trouvent encore une place.
Ce midi, une grande marche pour la survie de Radio-Canada partira du Square Victoria, à Montréal. Venez donc faire un tour pour témoigner votre appui. Il y a gros à perdre.