Quelles sont les origines du documentaire au Québec?

Guillaume Lafleur : Le documentaire québécois est né dans les années 1930, avec les œuvres de propagande catholique de l’abbé Proulx. Dans son premier long métrage, En pays neufs (1937), il filme des colons de son diocèse en route vers l’Abitibi, afin d’inciter les citadins à vivre dans cette région désertée. L’avènement du documentaire se produit à la fin des années 1950, avec la création du « cinéma direct », une révolution mondiale originaire du Québec. Le cinéma direct se traduit par une prise de son en direct et l’utilisation d’une caméra légère à l’épaule. La narration était jusque-là portée par une voix hors champ en différé. En 1958, le court métrage de Michel Brault, Les Raquetteurs − récit d’une compétition de raquettes à Sherbrooke − est le premier film de ce genre. Au cours de la Révolution tranquille, le documentaire est devenu l’outil culturel par excellence pour échapper à la propagande catholique et à l’influence démesurée de la littérature française.

Quelle est la spécificité du documentaire québécois?

Je vois deux tendances. La première est une démarche ethnographique, afin de capter les traditions en voie de disparition. Dans Pour la suite du monde (1963), le cinéaste Pierre Perrault immortalise la langue imagée de L’Isle-aux-Coudres. Le documentaire témoigne de la chasse aux marsouins, une pratique déjà disparue depuis 30 ans lors du tournage, mais réhabilitée le temps du film. La seconde tendance est de mettre en lumière la vie quotidienne des villages et des réserves autochtones. Elle traduit la volonté de donner une qualité littéraire à des personnes qui n’auront jamais l’éducation suffisante pour écrire des mémoires. Arthur Lamothe a été l’un des plus grands témoins de ce patrimoine immatériel dans les années 1970. Il a réalisé plusieurs films au sein de réserves amérindiennes (Mistashipu en 1974, Ninan Nitassinan en 1980). Dans Le Mépris n’aura qu’un temps (1970), il filme des ouvriers dans une taverne. On observe des hommes épuisés qui boivent dans une seule logique d’endoctrinement. Leur discours est de plus en plus confus au fil des verres, mais le plus important reste leur gestuelle.

Ces deux tendances se rejoignent sur un fait : le documentaire québécois est un acte de résistance. Ce n’est pas innocent si la Cinémathèque québécoise est la plus importante au Canada. Le Québec conserve ses archives, défend sa culture et promeut son identité francophone. Un large pan de la mémoire québécoise a été filmé. Si l’on considère la naissance du Québec avec la Nouvelle-France au 16e siècle, le cinéma couvre près d’un quart de notre histoire.

Pourriez-vous conseiller le visionnement de quelques documentaires indispensables dans la culture québécoise?

Je commencerais par trois documentaires précédemment cités : En pays neufs (1937) de l’abbé Proulx, Les Raquetteurs (1958) de Michel Brault et Gilles Groulx et Pour la suite du monde (1963) de Pierre Perrault, Michel Brault et Marcel Carrière. J’ajouterais Le Confort et l’indifférence (1981) de Denys Arcand, un documentaire politique sur l’après-référendum ; Ceux qui ont le pas léger meurent sans laisser de traces (1992), de Bernard Émond, hommage à un vieillard solitaire du quartier Hochelaga, retrouvé mort dans la rue par des policiers qui le prenaient pour un sans-abri ; Un fleuve humain (2006), de Sylvain L’Espérance, documentaire réalisé au Mali, aux abords du fleuve Niger, où la crue saisonnière n’est pas toujours aussi abondante qu’espérée ; et enfin La théorie du tout (2009), de Céline Baril, un voyage à travers le Québec guidé par des rencontres hasardeuses.

Une nouvelle tendance se dégage-t-elle dans le documentaire provincial?

Un cinéma d’observation se dégage aujourd’hui. Transatlantique (2014) de Félix Dufour-Laperrière, Laylou (2013) de Philippe Lesage et Bestiaire (2012) de Denis Côté en sont l’exemple. Même s’ils sont très différents, ces films se rejoignent dans le sens du rythme et de l’expression visuelle. Ils puisent notamment leur influence dans le cinéma chinois contemporain, symbolisé par les docu-fictions de Jia Zhangke. Ces films documentent la réalité par de longs plans séquence. Ils observent l’évolution de la vie avec une recherche plastique, loin de l’hystérie du cinéma direct des années 1960 où il fallait que ça jase sans cesse.

Au-delà du documentaire, le réalisme se retrouve aussi dans la fiction québécoise.

Notre fiction est empreinte d’une tradition réaliste et sociale depuis ses débuts. C’est une réponse naturelle à la fiction canadienne et hollywoodienne. L’hégémonie du cinéma américain est présente à un niveau industriel immédiat. L’influence des lobbys de distribution dans l’exploitation des salles canadiennes est la plus puissante au monde. Tout film canadien qui veut être projeté dans un complexe de salles populaire doit composer avec cet impérialisme et combler un manque. Le réalisme québécois s’explique aussi par la force du documentaire et la spécificité naturelle de notre culture dans le contexte nord-américain. Les Québécois ont une texture, une couleur originale de par leur langue. L’expérience québécoise est attractive à l’international.

Propos recueillis par Mario Bompart.
Pour tout savoir sur les RIDM, cliquez ici. Pour retrouver les films évoqués durant l’entretien, rendez-vous sur le site de l’ONF. NDLR: Ricochet est un partenaire des Rencontres internationales du documentaire de Montréal.