Un témoin à la commission parlementaire sur le projet de charte des valeurs du PQ, M. Karim Akouche, reprenait du gallon dans Le Devoir du 27 octobre et enfourchait lui aussi le même cheval de bataille. Il laissait alors entendre que les deux meurtres confirmaient la nécessité du projet de loi 60. Le 28 octobre, toujours dans Le Devoir, c’était au tour d’André Lamoureux et Michèle Sirois de se prononcer et les deux voyaient dans les meurtres sordides de Patrice Vincent et Nathan Cirillo une manifestation d’intégrisme. Enfin, dans Le Devoir du 30 octobre, Jérôme Blanchet-Gravel et Claude Simard critiquaient le laxisme de la gauche à l’égard du groupe État islamique.

Je ne sais pas s’il faut évoquer en plus les propos de l’auteur de la charte de Hérouxville, André Drouin, interviewé par TVA, qui va jusqu’à préconiser la fermeture des mosquées.

«Les islamistes nous envahissent!»

La journaliste du Devoir Mélanie Loisel rapportait pour sa part dans Le Devoir du 28 octobre la contribution d’un panel composé de leaders de la communauté musulmane du Québec, à l’occasion duquel les panellistes insistaient sur l’importance d’intégrer les minorités et non de les stigmatiser.
Malheureusement, il faut se rendre à l’évidence que Lise Payette, Karim Akouche, André Lamoureux, Michèle Sirois, Jérôme Blanchet-Gravel et Claude Simard ont une préférence marquée pour la stigmatisation.
Faut-il rappeler que l’interdit du foulard dans la fonction publique n’a rien à voir avec ce qui s’est passé et que, si cet interdit avait été appliqué, cela n’aurait rien changé? En outre, tout indique que les gestes insensés ont été posés par des loups solitaires.Tout indique qu’il n’y a pas eu, à l’origine de ces gestes insensés, de concertation, pas plus que des groupes organisés ou des liens avérés avec le groupe État islamique.

Tout indique qu’il n’y a pas eu, à l’origine de ces gestes insensés, de concertation, pas plus que des groupes organisés ou des liens avérés avec le groupe État islamique.

Au XIXe et XXe siècle, une pathologie collective a conduit des peuples entiers à viser la « juiverie » et ce, bien que ce n’était pourtant rien de plus qu’une vision de l’esprit, tout d’abord xénophobique, puis antisémite et enfin raciste et génocidaire. Je suis aussi assez vieux pour me rappeler du fameux « péril jaune » que tant de gens craignaient à cause de la surpopulation de la Chine. On peut en outre se rappeler des communistes que l’on craignait plus que tout, au point d’instaurer, en plein régime macarthyste, rien de moins qu’une inquisition en bonne et due forme aux États-Unis. Or, depuis le 11 septembre 2001, la cible privilégiée des prophètes de malheur est devenue l’Islam, une religion que l’on associe très rapidement à l’intégrisme, au terrorisme et à des dérives présumées de la part de nos concitoyens issus des pays arabes ou du Maghreb.

Il faut presque se réjouir du fait que les criminels n’étaient pas issus des minorités arabe ou maghrébine et qu’il s’agissait plutôt de Québécois de souche. Car on imagine, s’il en avait été autrement, avec quel acharnement les Cassandre de la Charte seraient sortis en bloc.

Trois facteurs explicatifs

Jusqu’à nouvel ordre, il n’est pourtant pas nécessaire de parler d’une manifestation d’intégrisme ou de l’envahissement de l’islamisme politique.Trois éléments suffisent à expliquer ce qui a bien pu conduire Martin Couture-Rouleau et Michael Zehaf-Bibeau à de tels crimes abjects et crapuleux. Il y a tout d’abord le fait que ce sont des personnes dérangées qui souffraient sur le plan psychologique. Il y a aussi ces vidéos horribles montrant des terroristes de DAESH se livrer à des scènes de décapitation. De tels extrémismes frappent aisément l’imagination des esprits malades. Il y a enfin et surtout la politique étrangère agressive du gouvernement Harper qui polarise, impose une vision manichéenne et provoque des réactions hostiles en tenant des propos outranciers, tout en engageant le Canada dans la guerre.

Jusqu’à nouvel ordre, il n’est pourtant pas nécessaire de parler d’une manifestation d’intégrisme ou de l’envahissement de l’islamisme politique.

Il n’est même pas nécessaire d’invoquer une dérive issue d’une éducation à la religion musulmane chez les meurtriers de Saint-Jean-sur-le-Richelieu et d’Ottawa. Tout indique que les individus se sont tout d’abord épris non pas de l’Islam mais bien des groupes politiques armés qui s’en réclament: des groupes comme Al Qaeda et maintenant DAESH. Il y a peut-être aussi sur notre territoire des cinglés prêts à les inciter au crime. Mais rien n’indique que l’Islam politique soit à nos portes, soit en train de nous envahir.

Nous ne sommes bien sûr pas isolés du monde. Nous ne sommes pas à l’abri des courants idéologiques qui polarisent les esprits et voient le monde comme un choc des civilisations dans l’esprit de Samuel Huntingdon. Ces discours s’alimentent de cette polarisation et la souhaitent, comme c’est le cas avec Stephen Harper. Une idéologie outrancièrement favorable à Israël, en dépit des actes criminels perpétrés à Gaza, a aveuglé le Premier Ministre du Canada tout au long de l’été. Ce parti pris évangliste a fait entrer la religion dans la politique canadienne et n’a pu que jeter de l’huile sur le feu.

À cela s’ajoute, avec l’envoi de F-18, une implication directe du Canada dans la guerre au groupe DAESH au Moyen-Orient qui risque d’envenimer les choses et de favoriser le recrutement au sein de ces groupes terroristes. Les implications politiques, idéologiques et armées du Canada agissent comme des détonateurs et risquent de provoquer le mal que le gouvernement Harper est si rapidement enclin à dénoncer, au nom de la liberté et de nos valeurs. Tout cela risque de devenir une prophétie auto-réalisatrice.

La stigmatisation comme arme utile de l’islamophobie

Rien ne nous autorise à parler d’un envahissement de l’Islam politique ou de l’entrée en force du terrorisme islamique au Canada.

Il y a bien sûr à tous les deux ans des actes isolés de ce genre que d’aucuns pourraient être enclins à brandir pour justifier l’image superficielle et caricaturale que l’on se fait de l’Islam, des arabes et des maghrébins. Mais rien ne nous autorise à parler d’un envahissement de l’Islam politique ou de l’entrée en force du terrorisme islamique au Canada. Pour expliquer les récents évènements, j’évoque pour ma part seulement trois causes : la maladie mentale, l’extrémisme de groupes comme DAESH et l’agressivité du gouvernement fédéral. Il n’est pas nécessaire de réactiver les peurs à l’égard de l’islam politique qui serait à nos portes et pas nécessaire de nous rappeler les faux mérites de la charte. Il importe, au contraire, de favoriser au maximum l’intégration de nos compatriotes arabes, musulmans et maghrébins.

Par bonheur, on peut lire aussi dans les pages du Devoir les propos lucides de Jean-François Nadeau : «Après une crise aiguë de paranoïa islamiste où l’on a vite imaginé le règne d’un nouveau califat s’installer à Saint-Jean-sur-Richelieu ou à Ottawa, on prend un air étonné devant les coups assenés par deux esprits troublés, sans se questionner plus que d’ordinaire sur l’effet de ceux que l’on a portés en masse à l’étranger au cours des dernières années. Quant à prendre acte des ravages qu’opère la maladie mentale tandis que notre filet de sécurité sociale rétrécit, ce ne sera sans doute pas non plus au programme de ces années d’austérité.»

Nos compatriotes arabes, musulmans et ou maghrébins sont nos alliés dans ce combat. Ne les stigmatisons pas pour en faire des ennemis.