Le Parti libéral du Québec affirmait alors être « assurément le parti qui en a fait le plus pour faire avancer la cause des femmes sur tous les plans. » Il citait à l’appui son règlement sur l’équité salariale, sa politique sur la parité au sein des conseils d’administration des sociétés d’État, ainsi que sa loi modifiant la Charte des droits et libertés de la personne afin d’élever l’égalité entre les femmes et les hommes au rang de « valeur fondamentale » de la société québécoise. On se vantait également de la création du Régime québécois d’assurance parentale, et des efforts constamment déployés pour offrir plus de places en garderie.

C’est mignon, mais soulignons que ces diverses mesures ont un succès plutôt mitigé, dans la réalité. Par exemple, en 2011, soit cinq ans après son entrée en vigueur, la loi sur la gouvernance des sociétés d’État et la parité sur les conseils d’administration n’avait rendu paritaires que 9 des 22 conseils d’administration des sociétés d’état québécoises. Quant à l’équité salariale, l’écart stagne toujours autour des 30%. Et que dire des listes d’attentes pour les CPE, qui n’en finissent plus de s’allonger…

En fait, je suis injuste. On ne peut pas nier le succès du Régime québécois d’assurance parentale et du système de garderies. Ces programmes ne sont pas parfaits, ils pourraient évidemment être plus généreux, mais ils fonctionnent. Ils filent un sacré coup de pouce aux jeunes familles, en plus de contribuer à l’autonomie des femmes et à l’amélioration de leurs conditions de vie, à commencer par celles des mères monoparentales.

Pourtant, à travers le bouquet de « ballons d’essai » largués cet automne par le gouvernement Couillard, ce sont ces mesures qu’on a menacé en premier : fin du tarif universel dans les CPE, réductions des subventions aux services de garde, compressions dans les services parascolaires, réduction des prestations d’assurance parentale… Du luxe, tout ça. Les femmes, comprend-t-on, seraient désormais assez « égales » et autonomes pour s’en passer.

On semble cependant oublier que s’il y a eu des progrès considérables en matière d’égalité hommes-femmes au Québec au cours des dernières décennies, c’est précisément grâce à l’implantation de programmes et de services publics ayant permis aux femmes d’acquérir plus d’autonomie. Ces institutions ne représentent pas l’aboutissement des progrès en matière d’égalité des sexes : ils en constituent la base. On ne les amputera pas sans risquer de bondir des années en arrière.

Ainsi, lorsque les Libéraux affirment placer l’égalité entre les femmes et les hommes au rang de valeur « fondamentale » de la société québécoise, il y a de quoi sourciller. Le saccage annoncé des institutions qui soutiennent les femmes et les jeunes familles indique plutôt qu’ils n’en ont rien à foutre, de l’égalité.

On nous dira que ça n’a rien à voir. Qu’en période de rigueur budgétaire, toutes les dépenses publiques sont également suspectes. Là où il y a du gras, on coupe. C’est tout.

Le problème, c’est que si l’austérité n’est pas sexiste dans sa logique, ses effets le sont sans aucun doute. Lorsqu’on tronçonne les services et amincit le filet social, ce sont les groupes les plus vulnérables qui écopent. Et les femmes en font partie. Eh oui. Quoiqu’en disent les enthousiastes du « plafond-de-verre-enfin-défoncé », la pauvreté, au Québec, se conjugue encore majoritairement au féminin. À tous âges, les femmes sont plus sujettes à la précarité que les hommes. Elles constituent aussi l’écrasante majorité des chefs de famille monoparentales. Elles sont surreprésentées dans les emplois mal rémunérés, instables et à temps partiel. Elles sont davantage victimes de violence, et ont souvent besoin d’une main tendue pour s’en sortir. Les femmes recourent en somme davantage aux services sociaux et aux programmes publics. Lorsqu’on les attaque de front, elles sont donc parmi les premières à en faire les frais.

Embêtant? La pauvreté, les inégalités et la violence, oui, c’est très embêtant. Révoltant, même. Par contre, on ne devrait pas être embêté par le fait de s’être dotés un jour de programmes et de services publics qui viennent en aide aux femmes en difficulté et aux jeunes familles. Nous devrions valoriser ces institutions, et nous affairer à les préserver. Pas les traiter comme des « boulets » aux chevilles des contribuables.

Malheureusement, le service universel de garderies, le régime d’assurance parentale et la subvention des groupes communautaires portant assistance aux femmes sur divers fronts participent d’un projet de société que le gouvernement Couillard semble déterminé à mettre à sac, une fois pour toutes. Le maintien du bien-être des Québécois appellerait semble-t-il à un changement de cap drastique. Soit. Mais faut-il rappeler que nos institutions, programmes et services publics ne sont pas la cerise sur le sundae de notre prospérité collective? Au contraire, ils en sont la condition. Il faudrait peut-être y songer sérieusement, avant de les bulldozer.

Vendredi dernier, plus de 50 000 manifestants ont marché dans les rues de Montréal pour dénoncer la cure d’austérité amorcée par le gouvernement Couillard. Organisations syndicales, groupes communautaires, étudiants en grève (plus de 82 000 avaient voté des levers de cours pour la journée) et citoyens ont témoigné de leur colère et de leur inquiétude. Les Libéraux commencent à récolter la grogne qu’ils sèment depuis des mois, avec leurs compressions absurdes et leurs réformes arrogantes. J’insiste sur « commencent ». Il y a de ces sapins qu’on ne laissera pas passer aussi facilement.