La réélection de Juan Evo Morales Ayma le 12 octobre dernier n’a surpris personne. Que l’on se trouve dans l’un des grands marchés publics de Cochabamba, dans les rues bruyantes et polluées de la capitale ou dans les campagnes reculées de la région de Sucre, le président Morales semble, depuis une décennie, l’homme de la situation. Son visage est partout, on lui attribue tout ce qui arrive de bien au pays.
Son arrivée au pouvoir en 2005 a mis fin à des années d’incertitudes politiques (160 coups d’État en moins de deux siècles). « Il a pris les rênes d’un pays dont l’existence même était remise en question », explique Graciela Ducatenzeiler, professeure en science politique à l’Université de Montréal et spécialiste de l’Amérique du Sud. « Avant Morales, la politique était faite dans la rue, les gouvernements étaient choisis par la rue. Avec Evo Morales à sa tête, la Bolivie a fait un virage à 180 degrés ».
Autochtones à l’honneur
Premier autochtone à accéder à la magistrature suprême en Amérique latine, Evo Morales a non seulement initié la stabilité politique en réduisant la pauvreté du peuple et l’endettement du pays, mais a aussi beaucoup contribué à revaloriser la culture indigène nationale.
« Avec le gouvernement d’Evo, il y a eu du changement », souligne Norma Barrancos, 30 ans, journaliste radio à La Paz, capitale bolivienne. Issue du peuple indigène Aymara, Norma Barrancos porte la jupe colorée, le chapeau melon et le châle. Ces vêtements traditionnels associés aux femmes indigènes ont longtemps attiré railleries et discrimination. Aujourd’hui, le vent a tourné pour les mujeres de polleras (femmes qui portent la jupe traditionnelle). Non seulement on les respecte, mais on les envie. « Les mujeres de polleras comme moi ont plus de visibilité, plus d’espace grâce à Evo », insiste-t-elle.
« Les indigènes écrivent présentement une page d’histoire. Est-ce qu’ils le font bien? Est-ce qu’ils le font mal? Ça, c’est un autre débat », nuance quant à elle Julieta Ojeda Marguay, l’une des responsables de l’organisation féministe radicale Mujeres Creando, à La Paz. L’association est de tous les combats et remet en question le pouvoir établi.
Selon la féministe, beaucoup des actions politiques du gouvernement d’Evo Morales sont de la poudre aux yeux. La mise en place d’élites indigènes pour montrer l’ouverture aux autochtones en est un exemple.
Une loi, mais encore de la violence
De plus, si Evo Morales a redoré l’image des indigènes, les changements réels, plus profonds, sont plus longs à se faire sentir, remarque Mme Marguay. Par exemple, la situation des femmes en Bolivie est alarmante. Selon l’organisation panaméricaine de la santé, 53,3 % des Boliviennes sont victimes de violence conjugale, le plus haut taux en Amérique latine. Le gouvernement a donc mis en place une nouvelle loi « pour que les femmes puissent vivre sans violence et sans discrimination ».
« La nouvelle législation n’a rien apporté de concret, critique Julieta Ojeda Marguay. Ça fait plus d’un an et il n’y a toujours pas eu de mise en pratique. Les femmes sont sans recours juridique depuis ce temps. Mais bien sûr, ça paraît bien d’avoir mis en place une loi pareille ».
Pour cette féministe et pour à peu près tous les critiques du parti en place, malgré que le MAS ait une rhétorique gauchiste, il n’y a pas eu de vrai repositionnement politique. « C’est encore du néolibéralisme. Le gouvernement ne remet pas en question la privatisation », indique Mme Marguay.
« Les politiques économiques d’Evo Morales sont rigoureuses et exemplaires, mais je ne dirais pas qu’elles sont néolibérales. Conservatrices, oui, mais pas néolibérales », signale quant à elle la politologue de l’Université de Montréal.
Le FMI derrière
Pour cette experte du populisme en Amérique latine, Evo Morales a simplement su profiter du boom économique durant ses années au pouvoir pour renflouer les coffres de l’État et enrayer le déficit du pays. Sa gestion sérieuse des finances publiques a permis des investissements dans le secteur social et les infrastructures, « des mesures qui ont favorisé tout le monde, les plus pauvres et la classe moyenne », ajoute Mme Ducatenzeiler.
Les avancées accomplies par le président Morales au cours de ses huit années au pouvoir sont effectivement notables. Baisse de la pauvreté de 62 % à 38 %, baisse de la pauvreté extrême de 38 % à 28 %, sans oublier que la Bolivie d’Evo Morales a récemment réussi à s’attirer les louanges du Fonds monétaire international (FMI) pour sa croissance économique fulgurante. Réputée comme étant le pays le plus pauvre d’Amérique latine, la Bolivie possède maintenant la plus forte croissance économique des pays d’Amérique du Sud, avec un taux prévu de 5,5 % en 2014.
Avec d’aussi bonnes notes au bulletin, le pays espère maintenant que la « décennie d’or » ne s’arrêtera pas, mentionne Graciela Ducatenzeiler. « La question à un million de dollars : Que se passera-t-il au départ d’Evo Morales, sachant que c’est sa popularité personnelle et son autoritarisme qui a permis à la Bolivie de sortir du cercle vicieux de la pauvreté? Probable que la rue [sera] de retour », analyse la politologue.